Signalement(s)
Le tribunal autorise une action collective contre la défenderesse, qui exploite la plateforme Facebook et à laquelle on reproche d'avoir censuré des messages contenant des informations qu'elle considérait comme fausses sur la COVID-19.
L'exercice d'une action collective faisant valoir que Meta Platforms Inc. a porté atteinte à la liberté d'expression des utilisateurs du média social Facebook en censurant des messages qui contredisaient les mesures sanitaires liées à la COVID-19 est autorisé.
Si le demandeur réussit à démontrer que le contrat intervenu entre lui et Meta Platforms Inc. est un contrat conclu à distance et qu'il a été modifié de façon illégale par cette dernière lorsqu'elle a censuré certains messages publiés sur le média social Facebook, qu'elle exploite, il pourrait s'agir d'un manquement à une obligation imposée par la Loi sur la protection du consommateur donnant ouverture à une condamnation à des dommages punitifs.
Résumé
Demande d'autorisation d'exercer une action collective. Accueillie.
Le demandeur recherche l'attribution de dommages compensatoires et punitifs à toute personne résidant au Québec ou y ayant un établissement qui a utilisé ou visité Facebook, un média social exploité par la défenderesse, depuis le 15 mars 2020. Il reproche à cette dernière d'avoir censuré des messages diffusés au moyen de son compte personnel et de celui du groupe Facebook «Réinfo Québec», dont il est l'un des administrateurs. Réinfo Québec est un organisme regroupant des professionnels provenant principalement du milieu de la santé et qui est voué à informer le public relativement à la pandémie de la COVID-19. Le demandeur soutient que Facebook procède à un contrôle du contenu en supprimant les affichages, en restreignant l'accessibilité de certains messages, en sanctionnant leurs auteurs, en classant les messages d'une façon particulière ou encore en ajoutant des avertissements. Il considère que ce contrôle effectué durant la pandémie de la COVID-19 constituait une atteinte intentionnelle à la liberté d'expression des membres du groupe proposé.
Facebook justifie toutes ces mesures par sa politique prohibant la désinformation pouvant causer des dommages physiques ou les fausses informations relatives à la COVID-19. Le demandeur invoque également l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur dans le contexte de la transgression possible des articles 10, 11.2, 19.1 et 54.4 de cette même loi.
Décision
La liberté d'expression ne vise pas uniquement la liberté de parole, mais également la liberté de publication, comme celle de la presse, ainsi que la liberté de création. Elle protège à la fois ceux qui s'expriment et ceux qui reçoivent l'information. Le demandeur réclame la liberté de s'exprimer sur une tribune déjà existante qu'il a, a priori, le droit d'utiliser en tant qu'usager. Il s'agit d'une question qui pourra être débattue au fond avec une possibilité de succès. Il importe peu que Réinfo Québec ait pu s'exprimer par d'autres moyens puisque le litige s'articule autour de la liberté d'expression, soit l'absence d'entrave, et non du droit positif de fournir quelque mode d'expression que ce soit ou une plateforme particulière. La question de la véracité du message n'a aucune incidence sur la liberté d'expression dans le présent contexte. La validité et l'opposabilité des règles d'utilisation de la défenderesse et de sa politique concernant la COVID-19 sont des questions qui devront être résolues au fond.
Si le demandeur réussit à démontrer que le contrat intervenu entre lui et la défenderesse a été conclu à distance et qu'il a été modifié de façon illégale par cette dernière, il pourrait alors s'agir d'un manquement à une obligation imposée par la loi, ce qui donnerait ouverture à une condamnation à des dommages punitifs. Toutefois, la question des dommages punitifs ne touche manifestement pas les personnes qui ne procèdent à aucun affichage, qui ne possèdent pas de compte Facebook et qui ont seulement visité cette plateforme.
Il ne paraît ni contesté ni contestable que les affichages s'adressant à des milliers d'abonnés ou membres de Réinfo Québec ont été censurés, ce qui a privé le demandeur du pouvoir s'exprimer et des milliers de membres de la possibilité de prendre connaissance de l'information et de participer à des discussions. De plus, le demandeur soutient que la défenderesse a admis avoir retiré de ses plateformes Facebook et Instagram, de mars 2020 à juillet 2022, 27 millions de publications qu'elle considérait comme de la désinformation relative à la COVID-19 et en avoir «étiqueté» plus de 190 millions pour les mêmes raisons. Elle a également supprimé de Facebook plus de 3 000 comptes, pages ou groupes ayant contrevenu à ses règles. Ces nombres cadrent bien avec la nature même d'une action collective et démontrent l'existence de questions communes pour des milliers de personnes.
Le demandeur, qui est un utilisateur de Facebook, est en mesure d'assurer une représentation adéquate. Par ailleurs, les allégations de la demande d'autorisation ne concernent que le traitement de l'information relative à la pandémie de la COVID-19. Or, le groupe proposé ne le reflète pas du tout, car il vise tous les utilisateurs de Facebook, y compris tout visiteur, et ne décrit aucun paramètre précis. Le groupe sera donc modifié afin d'y inclure toute «personne, physique ou morale, qui a utilisé ou visité Facebook depuis le 15 mars 2020, et qui a vu ses affichages reliés directement ou indirectement à la pandémie de COVID-19, censurés ou qui, ayant voulu le faire, n'a pu prendre connaissance ou accéder à ces affichages, alors qu'elle résidait au Québec ou y avait un établissement».