Signalement(s)
Une action collective est autorisée contre les défenderesses au nom des personnes au Québec qui, depuis le 1er septembre 2017, ont développé une dépendance au jeu vidéo Fortnite Battle Royale.
La Cour supérieure autorise l'exercice d'une action collective à l'encontre les défenderesses au nom des personnes au Québec qui, depuis le 1er septembre 2017, ont développé une dépendance au jeu vidéo Fortnite Battle Royale.
Dans le contexte d'une demande d'autorisation d'exercer une action collective contre les défenderesses, il existe une question sérieuse à débattre, soutenue par des allégations suffisantes et précises quant à l'existence de risques ou même de dangers découlant de l'utilisation du jeu vidéo Fortnite Battle Royale.
Résumé
Demande en modification d'une demande en autorisation d'exercer une action collective. Demande d'autorisation d'exercer une action collective. Accueillies.
La défenderesse Epic Games Inc., dont Epic Games Canada ULC est la filiale canadienne, est une société américaine spécialisée dans la conception de jeux vidéo à l'échelle mondiale. Elle a notamment conçu et commercialisé Fortnite Battle Royale, un jeu coopératif de tir et de survie offert gratuitement en téléchargement sur plusieurs plateformes numériques. Les joueurs sont invités à utiliser de l'argent du monde réel pour acheter la monnaie du jeu, appelée «V-Bucks». Les demandeurs sont les tuteurs de mineurs qui auraient développé une dépendance au jeu en question et qui en subiraient les effets néfastes psychologiques, sociaux et financiers. Ils désirent être autorisés à exercer une action collective contre les défenderesses au nom des personnes au Québec qui, depuis le 1er septembre 2017, ont développé une dépendance au jeu vidéo Fortnite Battle Royale. L'action collective vise également un deuxième groupe, composé des personnes au Québec qui, alors qu'elles étaient âgées de moins de 18 ans, ont fait des achats intégrés à l'aide de V-Bucks. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts, des dommages punitifs et le remboursement des sommes dépensées pour les achats intégrés effectués par les membres du deuxième groupe.
Décision

L'autorisation d'exercer une action collective est accordée si chacun des 4 critères énoncés à l'article 575 du Code de procédure civile (C.P.C.) est rempli. En l'espèce, seul le critère du paragraphe 3 n'est pas en litige. Quant à celui énoncé au paragraphe 1, la question de la création d'une dépendance au jeu Fortnite est une question commune aux membres du premier groupe proposé. Seront également communes, si les allégations justifient l'apparence de droit requise: la question de la responsabilité du fabricant ou du concepteur du jeu à l'égard du risque que celui-ci comporte et de sa connaissance, présumée ou actuelle, de ce risque; ainsi que, le cas échéant, la question de la création délibérée d'un jeu créant la dépendance. Quant au deuxième groupe, la question du caractère lésionnaire de l'achat de V-Bucks par un mineur sera commune à tous les membres du groupe. En effet, la disproportion des prestations peut s'évaluer en tenant compte de la valeur intrinsèque des V-Bucks par rapport au bénéfice qui en est retiré.

En ce qui concerne l'apparence de droit (art. 575 paragr. 2 C.P.C.), la demande d'autorisation procède en 2 étapes. Premièrement, elle détaille les caractéristiques de Fortnite et le fait que, selon les demandeurs, ce jeu crée de la dépendance et qu'il a été expressément et délibérément conçu à cet effet. Deuxièmement, la demande fait état des dossiers de 3 mineurs qui seraient devenus dépendants à Fortnite et des conséquences découlant de cette dépendance. L'allégation relative à la création d'une dépendance aux jeux vidéo repose principalement sur la reconnaissance de celle-ci par l'Organisation mondiale de la santé en janvier 2018. Par ailleurs, un diagnostic de dépendance au jeu a été posé à l'égard du fils de l'un des demandeurs. Il existe donc une question sérieuse à débattre, laquelle est soutenue par des allégations suffisantes et précises quant à l'existence de risques ou de dangers liés à l'utilisation de Fortnite. Ce jeu doit être considéré comme un «bien» au sens des articles 899 et 907 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Même s'il est mis en marché gratuitement, son utilisation fait l'objet d'un contrat et d'une distribution. Ainsi, il pourrait en résulter une responsabilité du fabricant aux termes des articles 1468 et 1469 C.C.Q. Celui-ci est présumé connaître les risques associés à son produit. L'article 53 de la Loi sur la protection du consommateur pourrait également trouver application. Toutefois, la mise en marché d'un produit populaire et enthousiasmant n'est pas synonyme d'une création délibérément destinée à créer la dépendance. Les allégations à cet effet dans la demande relèvent de l'opinion et de l'argumentation. Toutefois, cela n'exclut en rien la possibilité que le jeu cause en fait de la dépendance et que son concepteur ainsi que son distributeur soient présumés le savoir. En l'espèce, les faits allégués quant aux enfants des demandeurs, si on les met en rapport avec les propos de certains experts quant à la création d'une dépendance aux jeux vidéo, et plus particulièrement à Fortnite, permettent de croire que les demandeurs ont un recours valable en responsabilité du fabricant à faire valoir contre les défenderesses. En outre, ils ont un intérêt suffisant pour agir au sens de l'article 85 C.P.C. ainsi que la compétence requise pour représenter adéquatement les membres (art. 575 paragr. 4 C.P.C.). Quant à la définition du groupe, elle est précise, elle n'est pas tributaire de l'issue du litige et elle permet aux membres de déterminer facilement leur appartenance à celui-ci en fonction de critères neutres et objectifs. Cependant, il devra être précisé, quant au deuxième groupe, que l'achat a été fait par le mineur seul.


Dernière modification : le 20 août 2023 à 12 h 28 min.