Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure du Québec qui avait rejeté une action en responsabilité civile. Rejeté, avec dissidence.
En 2003, un avocat présente à deux clientes son conseiller financier personnel et ami proche, et leur recommande de le consulter. Au cours des quatre années qui suivent, les clientes finissent par investir plus de 7,5 millions de dollars dans la société de placements du conseiller financier recommandé. Durant ces quatre années, l'avocat commente favorablement et de façon répétée les services du conseiller recommandé en tant que conseiller financier, en plus d'encourager ses clientes à effectuer et à conserver leurs placements auprès de la société de placements. En 2007, le conseiller recommandé et son associé se volatilisent avec les économies d'une centaine d'investisseurs, dont celles des clientes de l'avocat. Les clientes intentent une action en justice, au motif que l'avocat et son cabinet ont fait preuve de négligence professionnelle de deux façons: premièrement, en manquant à leur devoir de conseil envers elles, et deuxièmement, en manquant à leur devoir de loyauté envers elles.
La juge de première instance a rejeté l'action. La Cour d'appel a statué que la juge de première instance a commis des erreurs donnant ouverture à son intervention et elle a infirmé la décision. À son avis, la juge de première instance a analysé les agissements de l'avocat et leurs conséquences à travers un prisme déformant, qui l'a amenée à apprécier erronément la preuve de façon compartimentée, sans l'éclairage que lui aurait procuré une vision d'ensemble des événements. La Cour d'appel a condamné solidairement l'avocat et son cabinet à indemniser pleinement les clients des pertes qu'elles ont subies.
Décision
M. le juge Gascon, à l'opinion duquel souscrivent le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe et Martin: La Cour d'appel disposait d'assises suffisantes pour intervenir et pour infirmer la décision de la juge de première instance. Elle a appliqué adéquatement les normes de contrôle pertinentes en appel énoncées dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen (C.S. Can., 2002-03-28), 2002 CSC 33, SOQUIJ AZ-50118043, J.E. 2002-617, [2002] 2 R.C.S. 235. La responsabilité professionnelle de l'avocat et de son cabinet à l'égard des pertes subies par les clientes a été établie.
L'existence ou non d'une faute est une question mixte de fait et de droit, et la détermination du lien de causalité est une question de fait. Dans les deux cas, en l'absence d'erreur manifeste et déterminante, la juridiction d'appel doit faire preuve de déférence envers les conclusions du juge de première instance. Elle ne peut intervenir que dans le cas où la décision de première instance est entachée d'une erreur évidente qui a déterminé l'issue de l'affaire. Le fait qu'une conclusion de fait différente aurait pu être tirée sur la base du poids attribué à différents éléments de preuve ne signifie pas qu'une erreur manifeste et déterminante a été commise. La juridiction d'appel doit dégager l'erreur fatale que comporte la décision de la juridiction inférieure, et l'image du prisme déformant, c'est-à-dire un prisme au moyen duquel le juge de première instance a analysé la preuve et qui a eu un effet déformant, ne peut être invoquée pour remplacer l'obligation de déceler la présence d'une erreur révisable ou masquer le fait qu'une erreur constatée par une cour d'appel ne respecte pas la norme élevée imposée par l'arrêt Housen. Dans la présente affaire, la Cour d'appel a conclu que le prisme déformant au moyen duquel la juge de première instance a examiné la preuve — en l'espèce, une approche étroite et compartimentée — a amené cette dernière à commettre des erreurs manifestes et déterminantes identifiées de façon précise par la cour. L'image du prisme déformant n'était rien de plus qu'une métaphore utilisée par la Cour d'appel pour expliquer en quoi la norme de contrôle applicable en appel établie dans l'arrêt Housen était respectée; elle n'a pas été utilisée pour masquer une absence d'erreurs manifestes et déterminantes. La Cour d'appel n'a pas commis une erreur en recourant à la notion du prisme déformant pour décider si la juge de première instance a commis des erreurs manifestes et déterminantes.
Dans les cas où la première juridiction d'appel était justifiée d'intervenir à l'égard du jugement de première instance et a exprimé son désaccord avec le tribunal qui l'a rendu, la Cour n'interviendra que si son désaccord découle de la nette conviction qu'une erreur s'est produite dans l'appréciation des faits par la première cour d'appel. La décision de la première cour d'appel, et non celle du juge de première instance, constitue l'aspect principal de l'analyse que la Cour — en tant que seconde et ultime juridiction d'appel — doit effectuer dans le cadre de l'application des normes de contrôle établies dans Housen. C'est aux appelants qu'il incombe de démontrer la présence d'une erreur dans la décision de la cour d'appel. En l'espèce, les appelants ne se sont pas acquittés de ce fardeau. La Cour d'appel n'a pas commis d'erreur en concluant que la juge de première instance a commis des erreurs manifestes et déterminantes, en intervenant dans les conclusions de la juge de première instance relativement au devoir de conseil et au devoir de loyauté de l'avocat, et en intervenant dans les conclusions de la juge de première instance selon lesquelles les fautes de l'avocat n'ont pas causé les pertes des clientes. Il n'est pas justifié que la Cour modifie les conclusions de la Cour d'appel.
La relation avocat-client peut habituellement être qualifiée de contrat de mandat. Bien que l'avocat, en tant que mandataire, n'agisse pas comme garant des services rendus par le professionnel ou le conseiller vers lequel il dirige ses clients, il doit néanmoins faire preuve de compétence, prudence et diligence lorsqu'il formule une telle recommandation, laquelle doit être basée sur une connaissance raisonnable du professionnel ou du conseiller en question. L'avocat qui aiguille des clients vers un autre professionnel ou conseiller a une obligation de moyens et non de résultat. Il doit être convaincu que la personne qu'il recommande à son client est suffisamment compétente pour s'acquitter du mandat envisagé. Le fait de recommander à un client un professionnel ou un conseiller ne saurait constituer une garantie des services rendus, mais une telle recommandation ne saurait pas non plus protéger l'avocat qui l'a formulée contre toute responsabilité pour d'autres actes répréhensibles qu'il aurait commis. En l'espèce, l'avocat est allé bien au-delà d'un simple aiguillage. C'est l'ensemble de son comportement qui a amené la Cour d'appel à conclure à la responsabilité de l'avocat et de son cabinet dans les circonstances. La décision rendue par la Cour d'appel en l'espèce n'a pas élargi les bases de la responsabilité des avocats qui aiguillent des clients vers d'autres professionnels ou d'autres conseillers.
Le devoir de conseil de l'avocat comporte trois volets: informer, expliquer et conseiller au sens strict du terme. Il fait partie intégrante de la profession d'avocat et existe indépendamment de la nature du mandat. L'étendue exacte de ce devoir varie selon les circonstances, en fonction notamment de l'objet du mandat, des caractéristiques du client et de l'expertise que soutient avoir l'avocat dans le domaine en question. L'avocat qui prodigue des conseils à un client doit toujours agir dans l'intérêt supérieur de ce dernier et respecter les normes que tout avocat compétent, prudent et diligent aurait suivies dans les mêmes circonstances. Tout conseil qu'un avocat prend l'initiative de donner au-delà de son mandat peut, s'il est erroné, engager sa responsabilité. En l'espèce, la Cour d'appel disposait d'assises suffisantes pour intervenir et pour conclure que l'avocat n'a pas conseillé ses clientes comme il incombe à un avocat compétent, prudent et diligent de le faire. Elle a relevé effectivement et de façon précise la présence d'erreurs manifestes et déterminantes dans l'appréciation par la juge du procès des relations des parties, qui ont influencé directement ses conclusions quant à l'ampleur des conseils erronés donnés. Appréciée adéquatement dans son ensemble, comme l'a fait la Cour d'appel, la preuve révèle que les conseils et assurances donnés par l'avocat s'inscrivaient dans un seul et même continuum, et qu'il est artificiel de les compartimenter. L'avocat a manqué à son devoir de conseil en recommandant un placement non diversifié dans des fonds spéculatifs extraterritoriaux à des clientes dont l'objectif principal était la préservation de leur capital, en recommandant des produits financiers sans faire preuve d'aucune forme de diligence appropriée au sujet de ces produits et en rassurant de façon répétée les clientes quant au fait que leurs placements garantissent la sécurité de leur capital.
En tant que mandataires, les avocats sont aussi tenus d'éviter de se placer dans une situation de conflit entre leurs intérêts personnels et les intérêts de leurs clients. L'obligation d'éviter les conflits d'intérêts est un des principaux aspects du devoir de loyauté des avocats envers leurs clients. Le devoir de loyauté protège l'accomplissement du devoir de conseil que les avocats doivent à leurs clients contre l'effet d'influences inappropriées. Dans le présent cas, la Cour d'appel était justifiée de conclure que les relations personnelles et financières qu'entretenait l'avocat avec le conseiller financier a placé celui-ci dans une situation de conflit d'intérêts, et qu'il a en définitive négligé les intérêts de ses clientes. La juge de première instance a adopté une approche indûment restrictive dans son analyse des principes relatifs aux conflits d'intérêts, ce qui a entaché toute son analyse relative au manquement de l'avocat à son devoir de loyauté. Il ressort d'un examen adéquat de l'ensemble de la preuve que ces liens très étroits ont eu une incidence sur l'objectivité de l'avocat lorsqu'il conseillait ses clientes. Les loyautés partagées de l'avocat l'ont amené à négliger les intérêts de ses clientes: il a négligé son obligation de protéger la confidentialité de ses communications avec elles et a fait équipe avec le conseiller recommandé pour tenter de les convaincre de ne pas retirer leurs placements.
Il peut arriver que plus d'une faute cause un seul préjudice, pour autant toutefois que chacune d'entre elles soit une véritable cause du préjudice et non une simple occasion de celui-ci. Une faute constitue une cause véritable du préjudice si celui-ci en est la suite logique, directe et immédiate. Cette détermination est dans une large mesure une question de fait et elle dépend de l'ensemble des circonstances de l'affaire. L'auteur d'une faute n'est pas responsable des conséquences d'un événement subséquent qui est indépendant de lui et qui est sans rapport avec la faute initiale. Deux conditions doivent être réunies pour que le principe appelé novus actus interveniens s'applique. Dans un premier temps, il faut que le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice subi soit complètement rompu. Dans un second temps, il doit exister un lien de causalité entre ce nouvel événement et le préjudice subi. La capacité d'un client de se fier aux conseils de son avocat est un aspect central de la relation avocat-client et le fait qu'un client accepte les conseils que lui formule de façon négligente son avocat ne saurait exonérer ce dernier de sa responsabilité. La commission d'une fraude par un tiers n'empêche pas non plus que des personnes qui ont omis de prendre les précautions requises soient tenues responsables. Lorsque le risque de baisse des prix du marché ou de fraude commise par un tiers se matérialise et que les avocats n'ont pas respecté les normes de conduite professionnelle destinées à protéger leurs clients contre ce risque précis, ils peuvent être tenus responsables des pertes subies par leurs clients au titre de leurs placements. En l'espèce, il ne fait aucun doute que les conclusions de la juge de première instance quant à l'ampleur des fautes de l'avocat ont influencé son analyse du lien de causalité. Il était artificiel d'apprécier la preuve de façon compartimentée en se fondant sur la chronologie des faits et sur les fonds précis qui avaient été recommandés. La conclusion erronée de la juge de première instance suivant laquelle l'avocat n'a pas manqué à son devoir de loyauté a également faussé son analyse de la causalité. Considérées globalement, les fautes de l'avocat relativement à son devoir de conseil et à son devoir de loyauté constituent une cause véritable des pertes subies par ses clientes. La fraude n'a pas rompu le lien de causalité; aucune perte n'aurait été subie sans les fautes commises au départ par l'avocat.
Mme la juge Côté, dissidente: L'appel devrait être accueilli. La Cour d'appel n'aurait pas dû substituer sa propre analyse du dossier à celle de la juge du procès car aucune erreur manifeste et déterminante n'entachait les conclusions clés de la juge du procès. La Cour d'appel est intervenue à tort en se fondant sur de simples différences d'opinions concernant l'appréciation de la preuve, ce qui est manifestement incompatible avec le rôle d'une juridiction d'appel. Lorsqu'une première juridiction d'appel modifie les conclusions du juge du procès en l'absence d'erreurs révisables, il appartient à la Cour d'intervenir et de rétablir la décision du juge du procès.
Pour ce qui est des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, une cour d'appel ne peut tirer ses propres conclusions et inférences que s'il est établi que le juge du procès a commis une erreur manifeste et déterminante. Pour pouvoir intervenir à l'égard de la décision d'un juge du procès, la juridiction d'appel doit cibler une erreur précise et discernable qui n'équivaut pas simplement à une divergence d'opinions, et il doit aussi être démontré que l'erreur est déterminante pour l'issue de l'affaire. Identifier une erreur manifeste et déterminante n'exige pas un examen de l'ensemble de la preuve. L'examen doit être axé sur les motifs du juge du procès et, au besoin, sur des éléments de preuve précis sur lesquels l'appelant attire l'attention de la cour d'appel afin de montrer qu'une conclusion donnée n'est pas étayée par la preuve. Il serait inapproprié que la cour d'appel procède à sa propre appréciation indépendante de la preuve, pour ensuite relever les conclusions du juge du procès auxquelles elle ne souscrit pas et conclure que celles-ci découlent d'erreurs manifestes et dominantes afin de justifier son intervention. Les juridictions d'appel, en comparaison aux juges du procès, ne sont pas bien outillées pour la tâche de tirer des conclusions de fait, et doivent donc laisser cette tâche à ceux-ci.
La métaphore du prisme déformant n'écarte pas l'obligation de relever la présence d'erreurs révisables conformément aux normes formulées dans Housen. Un «prisme déformant» ne peut justifier un examen général de l'ensemble du dossier sauf s'il est démontré que le recours à un tel prisme déformant constitue, en soi, une erreur ouvrant droit à révision. La métaphore du prisme déformant peut sans doute servir à illustrer la façon dont certaines erreurs manifestes vicient l'analyse de la preuve au point d'avoir un effet déterminant, mais une métaphore ne constitue toutefois pas une explication complète. La juridiction d'appel doit expliquer pourquoi le juge du procès a commis une erreur en analysant l'affaire sous l'angle du «prisme déformant» contesté, pourquoi cette erreur représente plus qu'une simple divergence d'opinions, et de quelle façon précise elle fausse l'analyse du juge du procès et influe sur l'issue de l'affaire.
Il incombe à la Cour, en tant que juridiction d'appel de second et ultime ressort, de s'assurer que les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit du juge du procès sont respectées, à moins que l'existence d'une erreur manifeste et déterminante ne soit établie. Bien que l'objet principal de l'examen de la Cour est la décision de la première juridiction d'appel, et non celle du juge du procès, la Cour doit nécessairement examiner les motifs du juge du procès pour déterminer si la première juridiction d'appel a correctement identifié des erreurs révisables. À cet égard, la Cour ne devrait pas faire montre de retenue à l'égard de la première juridiction d'appel en ce qui concerne l'identification des erreurs révisables. Lorsqu'elle examine une décision dans laquelle la première cour d'appel a substitué ses propres conclusions de fait, ou conclusions mixtes de fait et de droit, à celles du juge du procès, la Cour doit d'abord se demander si la première cour d'appel a correctement identifié des erreurs révisables. Dans la négative, les conclusions du juge du procès doivent être rétablies sans égard au bien-fondé des conclusions de la première cour d'appel. Cependant, si la Cour reconnaît que l'intervention était justifiée, elle doit se demander si la première cour d'appel a commis une erreur dans sa propre appréciation indépendante des éléments de preuve pertinents. Ce n'est qu'à cette étape que la Cour fera preuve d'une certaine déférence, et elle évitera donc d'intervenir sauf si elle est clairement satisfaite que les conclusions de la première cour d'appel sont erronées.
Dans le cas présent, la juge du procès n'a pas commis d'erreur manifeste et déterminante en ce qui concerne la faute et le lien de causalité. La Cour d'appel a simplement privilégié un «prisme» différent de celui auquel a recouru la juge du procès. De plus, elle s'est fondée sur un réexamen général de la preuve afin de déceler les erreurs dont il est question, ce qui est contraire à l'arrêt Housen et à ceux rendus dans sa foulée. L'intervention de la Cour d'appel n'était pas justifiée et la Cour doit intervenir pour rétablir les conclusions de la juge du procès.
Chaque fois que les avocats recommandent d'autres professionnels ou qu'ils expriment leur confiance en eux, ils doivent satisfaire à la norme de l'avocat raisonnablement compétent, prudent et diligent dans la même situation. Les avocats devraient faire des recherches sur les professionnels qu'ils recommandent afin d'en avoir une connaissance raisonnable, à moins qu'ils n'aient déjà eu une expérience de collaboration pertinente avec eux. Toutes les erreurs professionnelles relatives à ces recherches — ou à l'omission d'en faire — ne constitueront pas une faute si la conduite de l'avocat respecte la norme à laquelle il devrait se conformer, et les tribunaux doivent se garder de juger des recommandations à la lumière de faits découverts subséquemment. De plus, l'avocat n'est pas tenu de vérifier les conseils donnés par les professionnels qu'il a recommandés, vu que ce serait contraire à l'objectif de la recommandation.
Dans la présente affaire, la Cour d'appel n'a pas identifié d'erreur révisable précise dans les motifs de la juge du procès concernant la recommandation initiale de l'avocat et ses témoignages subséquents de confiance. L'avocat n'a pas commis de faute en recommandant la société de placements et le conseiller financier et en témoignant de sa confiance en eux. Bien que l'avocat avait un devoir de conseil et un devoir de loyauté envers ses deux clientes, ces devoirs étaient dans une large mesure circonscrits par la nature et l'étendue mêmes de ses mandats. Les devoirs d'un avocat ne se résument pas toujours à l'étendue précise de son mandat, mais celle-ci constitue certainement l'une des considérations principales dont le juge doit tenir compte pour évaluer la responsabilité professionnelle. En l'espèce, vu que l'avocat n'avait aucun mandat précis en ce qui concerne les placements de ses clientes, il était opportun que la juge du procès évite d'adopter une approche trop large en ce qui concerne la responsabilité. La confiance de l'avocat en la compétence et la probité de la société de placements et le conseiller recommandé reposait sur une connaissance raisonnable. Il a donc agi comme l'aurait fait un avocat raisonnablement compétent, prudent et diligent dans la situation.
Le devoir de conseil de l'avocat inclut généralement l'obligation d'informer son client des faits pertinents, celle d'expliquer les options possibles et leurs conséquences et celle de recommander une ligne de conduite. Le contenu précis de ce devoir est toutefois hautement tributaire des circonstances, à savoir l'étendue du mandat, les obligations qu'assume l'avocat et ses domaines d'expertise. Dans la présente affaire, la juge du procès n'a commis aucune erreur manifeste et déterminante en concluant que la seule faute de l'avocat quant à son devoir de conseil a été de recommander des produits de placement précis. Comme l'a conclu la juge du procès, l'avocat a omis d'agir comme l'aurait fait un avocat raisonnablement compétent, prudent et diligent lorsqu'il a recommandé des produits de placement précis et lorsqu'il a donné de son propre chef des conseils en matière de placements même si de tels conseils ne faisaient pas partie de ses mandats. En faisant cela, il a manqué à son devoir de conseil. D'ailleurs, dans la mesure où un avocat donne des conseils, il doit respecter la norme à laquelle se conformerait un avocat raisonnablement compétent, prudent et diligent dans la même situation, quelle que soit l'étendue précise de son mandat.
La Cour d'appel disposait de certains éléments sur lesquels se fonder pour conclure que l'avocat a commis les mêmes fautes à l'égard de ses deux clientes, mais même si cette erreur est tenue pour manifeste, elle n'a pas eu d'incidence sur l'issue de l'affaire. Cette erreur ne permettait pas non plus à la Cour d'appel de procéder à un réexamen général de la preuve afin de déceler d'autres erreurs potentielles.
L'analyse d'une faute reprochée quant au devoir de loyauté soulève des questions mixtes de fait et de droit et, à moins qu'on puisse facilement isoler une pure question de droit, la norme appropriée est celle de l'erreur manifeste et déterminante. Une question de droit isolable consiste généralement en une formulation erronée du critère juridique applicable ou en l'omission de tenir compte d'un élément essentiel de ce critère. L'analyse d'un prétendu conflit d'intérêts est intrinsèquement factuelle et les prétendus conflits d'intérêts doivent être évalués au cas par cas. Ce ne sont pas tous les possibles manquements au devoir de loyauté qui donneront ouverture à une action en responsabilité civile. Le tribunal doit analyser la nature et les circonstances du prétendu conflit afin de qualifier la contravention et de déterminer, le cas échéant, la réparation qui s'impose.
Un juge de première instance n'est pas tenu de traiter en détail de chaque fait particulier allégué par les parties ou de chaque élément de preuve, et la décision de refuser de tirer une inférence relève entièrement du juge des faits. La question n'est pas de savoir si le juge du procès a écarté des éléments que la cour d'appel estime importants, mais plutôt si de telles omissions auraient pu avoir une incidence sur la conclusion. En l'espèce, la Cour d'appel a commis une erreur en infirmant la conclusion de la juge du procès selon laquelle l'avocat n'a pas manqué à son devoir de loyauté envers ses clientes. Elle a procédé au réexamen de la question du conflit d'intérêts en appliquant la norme de la décision correcte, comme si une question de droit avait été relevée. Cependant, la Cour d'appel n'a pas laissé entendre que la juge du procès avait omis de cerner les bons principes juridiques applicables à la faute reprochée liée au devoir de loyauté ou que sa description du critère juridique applicable comportait une erreur. La Cour d'appel n'a pas relevé la présence d'une erreur manifeste et déterminante et elle a procédé de façon inacceptable à un réexamen de l'ensemble de la preuve en se fondant sur une divergence d'opinions quant à l'importance qu'il faut donner à la preuve. Le fait que la Cour d'appel aurait apprécié différemment la preuve ou tiré des inférences différentes ne justifie pas son intervention. Même si la juge du procès n'a pas traité de certains aspects de la relation professionnelle qui unissait l'avocat et le conseiller recommandé, en particulier la divulgation par l'avocat de communications qu'il a eues avec sa cliente et le fait qu'il a collaboré avec le conseiller recommandé et la société de placements à au moins une occasion, de telles omissions n'ont pas eu d'incidence sur ses conclusions. La juge du procès a examiné comme il convient les facteurs qui auraient pu soulever des doutes quant à la loyauté et au dévouement exclusifs de l'avocat envers ses clientes, à savoir son amitié avec le conseiller recommandé et leur relation financière, notamment les cadeaux ou les commissions qu'il a reçus. La juge du procès pouvait tirer la conclusion que de tels facteurs ne suffisaient pas à placer l'avocat dans une situation où son intérêt personnel entrerait en conflit avec celui de ses clientes, et il convient de faire preuve de déférence à l'égard de cette conclusion.
Selon un principe fondamental de la responsabilité civile, une personne ne peut être tenue responsable que des préjudices causés par sa faute. Une cause véritable est établie lorsque le demandeur prouve que le préjudice est une conséquence logique, directe et immédiate de la faute. En l'absence de toute preuve que la faute a directement causé le préjudice en totalité ou en partie, il ne suffit pas de démontrer que la faute a augmenté la probabilité qu'il y ait préjudice. L'analyse du lien de causalité demeure une démarche contextuelle qui se prête mal à la théorisation juridique. Il appartient au juge des faits de tirer une ligne, ou d'identifier le point de rupture, entre les conséquences qui découlent directement et immédiatement de la faute et les autres. Il ne suffit pas de prouver qu'un avocat a manqué à ses devoirs professionnels pour établir une responsabilité civile; un lien causal avec le préjudice doit aussi être établi.
Dans la présente affaire, la Cour d'appel n'aurait pas dû procéder à une nouvelle appréciation complète de la preuve et modifier les conclusions de la juge du procès concernant le lien de causalité en se fondant sur la métaphore du prisme déformant. La juge du procès pouvait donc conclure que la fraude est la seule cause véritable des pertes et que la recommandation de la société de placements et du conseiller financier n'a pas de lien suffisamment étroit avec le préjudice pour constituer une cause logique, directe et immédiate. Pour ce qui est des devoirs de loyauté et de confidentialité, il n'apparaît pas clairement de quelle façon les manquements reprochés auraient pu causer les pertes. De plus, même si l'avocat avait effectivement commis d'autres fautes relativement à son devoir de conseil et à ses devoirs de loyauté et de confidentialité après avoir eu connaissance d'un article publié dans le journal qui soulevait des doutes relativement aux pratiques de la société de placements, l'issue aurait été la même étant donné que les fonds ne pouvaient plus être recouvrés à ce moment. Par conséquent, les fautes commises après cette date n'ont eu aucune conséquence sur les pertes.