résumé
Les avantages de la procédure de recours collectifs sont bien connus : ils permettent de faire des économies au plan judiciaire en évitant la multiplicité des recours individuels, donnent un meilleur accès à la justice en rendant économiques des poursuites qui auraient été trop coûteuses pour être intentées individuellement et servent une fonction dissuasive. Cela dit, l’expérience démontre que le recours collectif n’est pas une panacée et qu’il n’est pas nécessairement synonyme de proportionnalité ou d’économie judiciaire. Au contraire, son utilisation peut parfois entraîner des coûts importants, être une source de complications et même d’injustices pour les défendeurs.
Une tendance récente pose problème à ce niveau. Elle consiste à utiliser le véhicule du recours collectif afin de demander une compensation pour les désagréments, la contrariété, le stress ou d’autres états psychologiques passagers que la conduite du défendeur aurait occasionnés aux membres d’un groupe. Au Québec, ce type de réclamation se fonde sur la possibilité d’obtenir des dommages moraux pour « inconvénients ».
De nombreux recours collectifs concluent à l’octroi de tels dommages, une conclusion particulièrement utile lorsque les membres du groupe n’ont pas subi de préjudice pécuniaire, que le préjudice pécuniaire subi est minime ou hautement individualisé. Dans un tel contexte, la réclamation pour inconvénients met de l’avant une cause d’action qui peut parfois être traitée collectivement, notamment lorsque la réclamation des membres se prête à une évaluation objective et uniforme pour l’ensemble du groupe. Entre les mois de janvier 2009 et décembre 2010, parmi les 89 requêtes en autorisation de recours collectif dénombrées au registre établi en vertu de l’article 1050.2 du Code de procédure civile, plus d’un tiers comportait une réclamation pour stress, inconvénients, perte de jouissance ou autres troubles de même nature.
La prolifération de telles réclamation est problématique à la lumière des objectifs du recours collectif. Un exemple illustrera notre propos. Supposons qu’un fabricant de voitures constate l’existence d’un défaut de fabrication compromettant l’utilité mais non la sécurité des voitures vendues. Souhaitant exécuter volontairement ses obligations, il procède au rappel des voitures afin de réparer la défectuosité, le tout sans frais. Les propriétaires de voitures peuvent-ils prétendre à une indemnité pour l’inconvénient d’avoir eu à se rendre chez le concessionnaire pour faire réparer leur voiture ? Devraient-ils pouvoir intenter un recours collectif en compensation de cet inconvénient ?
Des recours de ce genre n’atteignent pas l’objectif de dissuasion. Au contraire, à long terme ils auront pour effet de dissuader l’exécution volontaire des obligations des fabricants, qui deviendront hésitants à exécuter volontairement leurs obligations s’ils s’exposent, de ce fait, à de telles poursuites pour inconvénients. Or, en décourageant les débiteurs à exécuter volontairement leurs obligations, on se trouvera éventuellement à multiplier le nombre de poursuites judiciaires, individuelles ou collectives. De tels recours ne servent manifestement pas les objectifs visés par la procédure de recours collectifs.
De façon plus fondamentale, il faut se demander si l’on devrait reconnaître aux propriétaires de voitures de notre exemple le droit d’être compensé pour les désagréments vécus. Nous suggérons que le droit québécois devrait distinguer les désagréments, les contrariétés, le stress, les craintes et les autres états psychologiques passagers du réel préjudice susceptible d’engager la responsabilité civile de celui qui les occasionne. Nous arguerons que les tribunaux ne devraient pas autoriser l’exercice de recours collectif aux seules fins d’obtenir une compensation pour des inconvénients qui n’excèdent pas les inconvénients normaux que toute personne vivant en société devrait être tenue d’accepter.
table des matières
INTRODUCTION
1. Tout inconvénient ne constitue pas nécessairement un préjudice moral
A) La notion d’inconvénients comme chef de dommages moraux
B) Le rôle de la règle de minimis non curat lex
C) L’intérêt légitime juridiquement protégé
D) La notion de préjudice
E) Conclusion
2. Le recours collectif en compensation des inconvénients
A) La dissuasion
B) L’économie des ressources judiciaires
C) L’accès à la justice