Résumé de l'affaire
Requête en réclamation de dommages moraux (10 000 $) et de dommages punitifs (4 000 $). Accueillie en partie (5 000 $).
La victime est interprète en danse contemporaine. Du 11 au 17 avril 2011, sous contrat avec la compagnie Daniel Leveillé Nouvelle Danse inc., elle a accompagné une troupe de danseurs en tournée en Allemagne pour présenter une chorégraphie. Lors de son séjour, elle partageait un appartement avec le défendeur, le directeur technique de la compagnie. La demanderesse soutient que la victime a fait l'objet de discrimination fondée sur le sexe en étant harcelée sexuellement par ce dernier lors d'un événement survenu le 12 avril. Elle réclame donc au défendeur 10 000 $ en dommages moraux et 4 000 $ en dommages punitifs pour avoir porté atteinte aux droits fondamentaux de la victime.
Décision
Depuis la Loi portant réforme du Code de procédure civile, la portée de l'article 294.1 du Code de procédure civile a été étendue. Dorénavant, le Tribunal peut accepter à titre de témoignage toute déclaration écrite pourvu qu'elle ait été communiquée et produite conformément aux règles de la communication et de la production des pièces. La demanderesse peut donc déposer en preuve un rapport d'évaluation psychiatrique, lequel conclut que la victime souffre d'un syndrome de stress post-traumatique résultant de l'agression subie de la part de son collègue, par l'entremise de cette disposition. Par contre, seul le témoignage de la personne à qui la victime s'est confiée peu de temps après l'incident reproché est recevable en preuve à titre de «plainte spontanée».

Quant au fond du litige, la Charte des droits et libertés de la personne s'applique puisque la victime et l'auteur du préjudice sont domiciliés au Québec (art. 3126 al. 2 du Code civil du Québec (C.C.Q.)). D'autre part, aux termes de l'article 438 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, une personne ne peut intenter de recours en responsabilité civile contre son employeur en cas de lésion professionnelle, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ayant une compétence exclusive à cet égard (art. 349 de la loi). Puisque, en l'espèce, cette dernière a déterminé qu'elle n'avait pas compétence parce qu'il ne s'agissait pas d'une lésion professionnelle, l'acte commis n'ayant pas été fait dans le contexte du travail selon celle-ci, le présent tribunal a compétence pour trancher le litige. D'ailleurs, contrairement à ce qu'a retenu la CSST, il y a lieu de conclure que la victime était dans le contexte de son travail au moment de l'incident reproché. Or, le droit de ne pas être harcelé, prévu à l'article 10.1 de la charte, est autonome et est différent du droit à ne pas être discriminé, prévu à l'article 10 de la charte, et ce, même si le harcèlement est une forme de discrimination. À la lumière de la jurisprudence, le harcèlement sexuel au travail est défini comme «une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu du travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes de harcèlement». En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur les lieux du travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois en tant qu'employé et à titre d'être humain (Janzen c. Platy Enterprises Ltd. (C.S. Can., 1989-05-04), SOQUIJ AZ-89111058, J.E. 89-774, D.T.E. 89T-558, [1989] 1 R.C.S. 1252). La répétition n'est pas un facteur essentiel de harcèlement sexuel au travail. D'ailleurs, l'assouplissement du critère de la répétition se justifie par le contexte de la captivité et de la dépendance de l'employé qui doit fournir sa prestation de travail même après avoir été l'objet de voies de fait graves «bien qu'il continue nécessairement à en subir les contrecoups». En l'espèce, les gestes commis par le défendeur dans la nuit du 12 avril 2011 sont manifestement de nature sexuelle. Celui-ci a immobilisé sa collègue contre son gré, l'a maintenue dans une position de confinement pendant environ 15 minutes même si elle s'est débattue, a remonté la serviette sur sa cuisse (alors qu'elle n'était vêtue que d'une camisole), et ce, en rigolant, en l'embrassant dans le cou, après qu'elle lui eut manifesté son refus à plusieurs reprises. En outre, ces faits sont graves, même si les gestes commis ne se situent pas au plus haut niveau sur l'échelle de gravité de l'agression sexuelle et qu'une telle conduite n'est survenue qu'à une occasion. En ce qui concerne le critère des effets défavorables ou préjudiciables en matière d'emploi, il a été démontré que la victime a été, lors des deux représentations ayant suivi les événements, mal à l'aise au moment d'exécuter sa prestation de travail, soit de danser parfois nue devant le défendeur, tel que l'exigeait la chorégraphie. Par ailleurs, pendant cette tournée, la victime était captive en raison du fait qu'elle était à l'étranger, et dépendante, car elle était sous contrat avec la compagnie. Il aurait été difficile pour elle de cesser de fournir sa prestation de travail alors qu'elle était en tournée en Allemagne. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure qu'elle a été victime de harcèlement sexuel dans un contexte de travail. En outre, elle a été l'objet d'une atteinte discriminatoire à son droit au respect de son intégrité, de sa dignité et de sa vie privée. En conséquence, le défendeur est condamné à payer 5 000 $ à titre de dommages moraux. Toutefois, la réclamation en dommages punitifs est rejetée, car celui-ci n'a pas recherché les effets de sa conduite mais a plutôt été insouciant ou négligent quant à ses conséquences sur la victime.


Dernière modification : le 14 août 2022 à 16 h 05 min.