Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande en réclamation d'une indemnité d'assurance et de dommages-intérêts (1 066 313 $). Accueilli en partie (40 611 $).
L'appelant est propriétaire d'un bâtiment à vocation commerciale. En septembre 2012, il l'a loué à un dénommé Cyr, lequel devait y exercer des activités de «garage esthétique automobile». En juin 2013, étant sans nouvelles de ce dernier, l'appelant est entré dans le bâtiment en cause, qu'il a trouvé grandement endommagé et où il y avait eu une plantation hydroponique de cannabis. Des empreintes digitales prélevées dans l'immeuble ont permis de révéler l'identité réelle du locataire, lequel se nomme Séguin. L'intimée, soutenant que l'appelant savait que ce dernier exploitait une plantation de cannabis, a refusé de l'indemniser et a invoqué la nullité ab initio de la police d'assurance liant les parties. La juge de première instance lui a donné raison.
Décision
M. le juge Schrager: Le ouï-dire est a priori irrecevable en preuve. Cette règle comporte cependant un certain nombre d'exceptions, notamment celle que codifie l'article 2870 du Code civil du Québec (C.C.Q.), fondée sur la nécessité et la fiabilité de la déclaration. Il pourra donc être fait exception à l'interdiction du ouï-dire s'il est démontré que la déclaration porte sur des faits au sujet desquels le déclarant peut légalement déposer, que sa comparution est impossible ou déraisonnable, et que les circonstances de la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier. L'exercice doit tenir compte du fait que la crédibilité de l'auteur ne pourra être directement évaluée et qu'elle ne pourra être mise en doute au moyen du contre-interrogatoire, bien que, au bout du compte, le tribunal en appréciera la force probante. D'autre part, à moins de circonstances exceptionnelles, l'avis prévu à l'article 2870 C.C.Q. doit être donné avant le procès, soit avant la mise en état du dossier de première instance. La juge a donc commis une erreur révisable en concluant que l'avis donné après que l'appelant eut clos sa preuve en demande était suffisant. En l'espèce, en raison de la nature hautement préjudiciable des déclarations de Séguin, la demande faite très tardivement par l'intimée, bien qu'elle ne prenne pas l'appelant complètement de court, le prive de l'arme inestimable du contre-interrogatoire, qui a toujours été l'un des points d'appui de l'équité devant les tribunaux. Au surplus, la juge a erré en considérant les déclarations enregistrées comme faibles. En conséquence, les transcriptions des conversations entre Séguin et Me Courteau n'auraient pas dû être reçues en preuve. Or, sans les déclarations extrajudiciaires de Séguin, l'assureur ne réussit pas à prouver la participation ou la connaissance de l'appelant de la culture de cannabis. Dans ces circonstances, la juge a commis une erreur de droit en concluant à la nullité de la police d'assurance.
Quant à l'indemnité d'assurance, un expert a retenu la somme de 43 111 $ pour les réparations à neuf découlant directement du sinistre. Bien que la police n'indique pas la protection «valeur à neuf», celle-ci figure dans la proposition d'assurance, qui prévaut en cas de divergence (art. 2400 al. 2 C.C.Q.). De plus, l'appelant a toujours exprimé sa volonté de faire les réparations qui s'imposent, qu'il n'est toutefois pas en mesure d'effectuer sans la réception de l'indemnité d'assurance. En ce qui concerne les pertes de revenus qu'il réclame, elles ne sont pas assurées selon la police et, vu l'absence d'abus, il n'y a aucune responsabilité de l'intimée à cet égard. Le retard dans le paiement de l'indemnité d'assurance est compensé par le paiement d'intérêts et d'une indemnité additionnelle.