Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d'autorisation d'exercer une action collective. Accueilli.
Le juge de première instance a refusé d'autoriser l'exercice d'une action collective dont l'appelant propose la composition suivante: «Toutes les personnes physiques résidant au Québec, qui ont subi des sévices sexuels de la part de membres de la Province canadienne de la Congrégation de Sainte-Croix, dans tout établissement d'enseignement, résidence, camp d'été ou tout autre endroit situé au Québec, ainsi qu'à l'oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, à l'exception des personnes ayant fréquenté le Collège Notre-Dame du Sacré-Coeur durant la période du 1er septembre 1950 au 1er juillet 2001, le collège de Saint-Césaire durant la période du 1er septembre 1950 au 1er juillet 1991, et l'école Notre-Dame de Pohénégamook durant la période du 1er janvier 1959 au 31 décembre 1964.» L'appelant soutient principalement que le juge a erré dans l'application des conditions prévues à l'article 575 du Code de procédure civile (C.P.C.) en adoptant une approche trop rigide, contrevenant ainsi aux enseignements tirés des arrêts Vivendi Canada Inc. c. Dell'Aniello (C.S. Can., 2014-01-16), 2014 CSC 1, SOQUIJ AZ-51034241, 2014EXP-244, J.E. 2014-124, [2014] 1 R.C.S. 3, et Infineon Technologies AG c. Option consommateurs (C.S. Can., 2013-10-31), 2013 CSC 59, SOQUIJ AZ-51014011, 2013EXP-3509, J.E. 2013-1903, [2013] 3 R.C.S. 600. Pour leur part, les intimés soutiennent le bien-fondé du jugement entrepris, et la Congrégation ajoute que de toute façon, en application de l'article 2926.1 alinéa 2 du Code civil du Québec (C.C.Q.), le recours envisagé est prescrit.
Décision
M. le juge Gagnon, à l'opinion duquel souscrit le juge Healy: Le juge de première instance a fait une application trop stricte des conditions prévues à l'article 575 C.P.C. en imposant à l'appelant, au stade de l'autorisation, un fardeau de démonstration qui n'était pas le sien, en s'éloignant de l'approche libérale qui doit exister en matière d'autorisation et en n'accordant aucune considération au contexte particulier de l'affaire, en l'occurrence des allégations de sévices sexuels commis par des religieux sur la personne d'enfants mineurs il y a de cela plus de 60 ans. Tout d'abord, même si les questions portant sur la responsabilité des commettants ne sont pas communes à l'ensemble du groupe, la première condition énoncée à l'article 575 C.P.C. est remplie puisque les questions inhérentes à la responsabilité directe des intimés sont à elles seules capables de faire progresser le recours vers un règlement du litige. Ensuite, le projet d'action collective vise les membres d'une association religieuse déterminée ou facilement déterminable, alors que leur communauté d'appartenance a choisi de se définir dans une loi privée comme étant les «membres de la Congrégation de Sainte-Croix». C'est de cette congrégation qu'il est question et la nature délictuelle de sa faute ne peut disparaître parce que ses dirigeants ont choisi en 2008 de faire «affaire» sous le couvert d'une personnalité morale différente de celle qui lui avait jusque-là servi de vaisseau amiral. Or, il serait prématuré de mettre fin au recours de l'appelant sur la base d'une situation aussi embrouillée alors que, pour l'instant, les faits allégués, les pièces au dossier et l'identité des agresseurs allégués, tous membres de la Congrégation, sont des facteurs suffisamment sérieux pour soutenir l'idée que l'appelant détient une cause défendable contre cette partie. En outre, les allégations portant sur la connaissance de cette dernière des sévices sexuels, lorsqu'on prend en considération les éléments de preuve soumis, auxquels s'ajoute la hiérarchie caractérisant les organisations religieuses traditionnelles, sont suffisantes pour satisfaire à la seconde condition prévue à l'article 575 C.P.C. Par ailleurs, l'appelant a démontré que la composition du groupe rendait peu pratique le recours à la voie individuelle ou encore à la jonction d'instance. Quant à la norme juridique rattachée à la condition relative à la qualité du représentant, elle est peu exigeante et l'appelant satisfait ici aux exigences de la loi. Celui-ci remplit donc toutes les conditions d'autorisation, et ce, à l'égard des deux intimés. Quant à l'argument portant sur la prescription (art. 2926.1 C.C.Q.) invoqué par la Congrégation, la Cour n'a pas à trancher cette question au stade de l'autorisation, car elle constitue un moyen de défense.
Mme la juge Marcotte: Le juge n'a pas commis d'erreur en refusant d'autoriser l'action collective à l'encontre de l'Oratoire, car le critère prévu à l'article 575 paragraphe 2 C.P.C. n'est pas rempli à son égard, en ce que les faits allégués contre lui ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées, qui tiennent des gestes commis sur ses lieux par les membres de la Congrégation (et non par des préposés de l'Oratoire), alors que la Congrégation est elle-même déjà poursuivie. D'ailleurs, toutes les questions communes et particulières ne visent que les abus sexuels commis par certains membres de la Congrégation à l'égard d'enfants mineurs qui leur avaient été confiés. Le seul fait d'alléguer que les sévices aient pu avoir lieu à l'Oratoire ne peut suffire à engager sa responsabilité en l'absence de quelque allégation de faits que ce soit qui puisse soutenir une faute directe de sa part ou une faute commise par l'un de ses préposés, ou encore une connaissance de sa part des sévices subis par les enfants mineurs sous le joug des membres de la Congrégation et l'omission d'agir. En outre, le seul fait que l'Oratoire est administré par des membres de la Congrégation ne permet pas davantage d'établir quelque faute que ce soit de sa part à l'endroit des victimes d'agressions sexuelles commises par des membres de la Congrégation. Par contre, la demande d'autorisation satisfait au seuil minimal requis pour fonder à autoriser l'action collective en ce qui concerne cette dernière.