Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario ayant rejeté l'appel d'une décision de la Haute Cour de l'Ontario qui refusait d'entendre des plaintes pour défaut de compétence. Rejeté, avec dissidence.
Les appelants, huit professeurs et un bibliothécaire des universités intimées, ont présenté des demandes de jugement déclaratoire portant que la politique des universités relativement à la retraite obligatoire à l'âge de 65 ans viole l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et que l'article 9 (a) du Human Rights Code, 1981 de l'Ontario, en ne traitant pas les personnes qui ont atteint l'âge de 65 ans de la même manière que les autres, viole également cet article. Ils ont aussi demandé une injonction interlocutoire et permanente et réclamé leur réintégration ainsi que des dommages-intérêts. La politique touchant la retraite obligatoire a été établie, selon l'université, par diverses combinaisons de résolutions du conseil, de règlements, de régimes de pensions et de conventions collectives. Plusieurs appelants ont porté plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, mais la Commission a refusé d'examiner leurs plaintes parce que sa compétence en matière d'emploi est restreinte aux personnes âgées de 18 à 65 ans. Elle a informé les appelants qu'elle réexaminerait sa position lorsque la décision relative à la constitutionnalité de l'article 9 (a) serait rendue. La Haute Cour a rejeté la demande des appelants et la Cour d'appel, à la majorité, a confirmé cette décision. La Cour est appelée à répondre aux cinq questions constitutionnelles suivantes: 1) L'article 9 (a) du Human Rights Code, 1981 viole-t-il les droits garantis par l'article 15 paragraphe 1 de la charte? 2) Dans l'affirmative, est-il justifié par l'article premier de la charte? (3) La charte s'applique-t-elle aux dispositions relatives à la retraite obligatoire des universités intimées? 4) Si elle s'applique, leurs dispositions respectives quant à la retraite obligatoire portent-elles atteinte à l'article 15 paragraphe 1? 5) S'il y a violation de l'article 15 paragraphe 1, leurs dispositions respectives quant à la retraite obligatoire peuvent-elles être justifiées en vertu de l'article premier?
Décision
M. le juge en chef Dickson, MM. les juges La Forest et Gonthier: Le texte de l'article 32 paragraphe 1 de la charte indique que celle-ci se restreint à l'action gouvernementale. Elle est essentiellement un instrument de contrôle des pouvoirs du gouvernement sur le particulier. L'exclusion des activités privées de la protection de la charte est un choix délibéré. Le fait de soumettre au contrôle judiciaire toutes les actions de nature privée et publique pourrait paralyser le fonctionnement de la société et imposer aux tribunaux un fardeau impossible à supporter. Seul le gouvernement a besoin de se voir imposer des contraintes dans la Constitution afin de préserver les droits des particuliers. Bien qu'elle puisse porter atteinte aux droits des particuliers, l'activité privée peut soit être réglementée par le gouvernement soit être assujettie à des commissions des droits de la personne et à d'autres organismes créés pour la protection de ces droits. En limitant l'application de la charte au Parlement et aux législatures ainsi qu'aux secteurs exécutif et administratif du gouvernement dans l'arrêt S.D.G.M.R. c. Dolphin Delivery Ltd. (C.S. Can., 1986-12-18), SOQUIJ AZ-87111009, J.E. 87-81, D.T.E. 87T-73, [1987] D.L.Q. 69 (rés.), [1986] 2 R.C.S. 573, la Cour suprême du Canada s'est appuyée non seulement sur le sens général du terme «gouvernement», mais également sur la manière dont on a utilisé les mots dans la Loi constitutionnelle de 1867. Les universités sont des organismes créés par la loi qui fournissent un service public, et certaines de leurs décisions peuvent être soumises au contrôle judiciaire mais elles ne deviennent pas pour autant partie du gouvernement au sens de l'article 32. Ce qui justifie l'exercice de la compétence de surveillance des tribunaux judiciaires n'est pas le fait que les universités font partie du gouvernement, mais le fait que ce sont des décideurs publics. Les universités sont légalement autonomes. Ce ne sont pas des organismes du gouvernement, même si leur champ d'action est restreint soit par des règlements, soit en raison de leur dépendance des fonds du gouvernement. Les universités intimées ne font pas partie de l'appareil gouvernemental, de sorte que leurs actions ne relèvent pas de la charte. Elles ne mettaient pas en oeuvre une politique gouvernementale en prévoyant la retraite obligatoire. Cependant, si elles faisaient partie de l'appareil du «gouvernement» au sens de l'article 32 paragraphe 1 de la charte, leur politique en matière de retraite obligatoire enfreindrait l'article 15 de la charte. Pour que cet article s'applique, l'inégalité dont on se plaint doit découler de la «loi». Si les universités faisaient partie de l'appareil gouvernemental, leur politique en matière de retraite obligatoire équivaudrait à une loi aux fins de l'article 15 de la charte. L'acceptation par les employés d'une obligation contractuelle pourrait bien, dans certaines circonstances, constituer une renonciation à un droit reconnu par la charte, surtout dans un cas comme celui de la retraite obligatoire, qui n'impose pas seulement des obligations aux employés, mais qui leur procure aussi des avantages. Dans l'ensemble, toutefois, une telle entente devrait normalement être justifiée comme une limite raisonnable au sens de l'article premier, particulièrement dans le cas d'une convention collective, qui peut ou non gagner vraiment la faveur des employés victimes de discrimination. Dans l'hypothèse où cette politique constitue une loi, elle est discriminatoire au sens de l'article 15 paragraphe 1 de la charte, étant donné l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia (C.S. Can., 1989-02-02), SOQUIJ AZ-89111028, J.E. 89-259, [1989] 1 R.C.S. 143, puisque la distinction est fondée sur la caractéristique personnelle de l'âge mentionnée dans cette disposition. La charte confère une protection non seulement contre une discrimination directe ou intentionnelle, mais aussi contre la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Le critère de la situation analogue n'a pas survécu à l'arrêt Andrews. La distinction faite en l'espèce dans la politique des universités, bien qu'elle soit fondée sur un motif mentionné au détriment de personnes de 65 ans et plus, constitue une limite raisonnable au sens de l'article premier de la charte quant au droit à l'égalité garanti par l'article 15. Pour évaluer s'il y a eu une atteinte minimale à un droit garanti par la Constitution, il faut évaluer non seulement la conciliation de revendications contraires de groupes ou d'individus, mais également la répartition de ressources limitées — dans ce cas, l'accès à des installations de recherche ou autres. Les universités étaient raisonnablement fondées à conclure que la retraite obligatoire portait le moins possible atteinte au droit pertinent, compte tenu de ses objectifs urgents et réels. Au préjudice que subissent les personnes visées, il faut opposer le bénéfice que tire la société de la politique universitaire. Si la retraite obligatoire a des effets préjudiciables sur le groupe visé, elle comporte aussi de nombreux aspects compensatoires, comme l'enrichissement du milieu de travail accompagné d'une grande liberté universitaire avec un minimum de surveillance et d'évaluation du rendement. Ces effets font partie du «marché» que comporte l'acceptation d'un poste permanent, un marché que recherchent les associations de professeurs et d'autres groupes. Les effets de la politique des universités en matière de retraite obligatoire ne sont pas graves au point de l'emporter sur les objectifs urgents et réels du gouvernement. Les mêmes facteurs doivent être pesés dans l'examen des effets préjudiciables. L'objectif de l'article 9 (a) et de l'article 4 du Human Rights Code, 1981 est d'étendre la protection contre la discrimination aux personnes d'une catégorie d'âge particulière, à l'origine aux personnes de 45 à 65 ans. Les personnes âgées de plus de 65 ans bénéficiaient de nombreux autres programmes sociaux. En adoptant cette disposition, le législateur a pesé, d'une part, la préoccupation tenant à l'absence de protection après l'âge de 65 ans et, d'autre part, la crainte qu'un changement puisse obliger à reporter la date de la retraite et à retarder ses avantages pour les travailleurs plus âgés, le marché du travail et les régimes de retraite. À supposer que le critère de la proportionnalité puisse être respecté, ces raisons justifient la suppression du droit constitutionnel à la même protection de la loi. Le législateur a aussi considéré l'effet sur les jeunes travailleurs, mais la preuve sur ce point est conjecturale et on ne devrait pas lui accorder trop de poids. La loi a un lien rationnel avec ses objectifs, comme cela ressort des considérations visant à déterminer si elle porte «le moins possible atteinte» au droit à l'égalité. L'examen du caractère approprié de la conduite prudente du législateur exige que l'on reconnaisse qu'elle était motivée par le souci que la transition des valeurs s'effectue d'une façon ordonnée. La résolution des Nations Unies visant à décourager la discrimination fondée sur l'âge justifie sa recommandation en la limitant par la condition que cela soit fait «partout et dans tous les cas où la situation générale le permet». La retraite obligatoire porte «le moins possible» atteinte au droit à l'égalité sans discrimination fondée sur l'âge. Les origines historiques de la retraite obligatoire à 65 ans et son évolution comme élément important de l'organisation du milieu du travail sont très pertinentes dans cette évaluation. De plus, les répercussions de l'abolition de la retraite obligatoire se feraient sentir dans tous les aspects du rôle du personnel auquel elle est intimement liée: l'embauche, la formation, les renvois, la surveillance et l'évaluation, et la rémunération. Le législateur avait devant lui des théories socio-économiques concurrentes et il était en droit de faire un choix et d'agir avec prudence en apportant des modifications. Au sujet de ce genre de questions où il existe des éléments de preuve opposés en matière de sciences sociales, la question que doit examiner la Cour est de savoir si le gouvernement était raisonnablement fondé à conclure que la loi portait le moins possible atteinte au droit visé, compte tenu des objectifs urgents et réels du gouvernement. Les préoccupations au sujet de la retraite obligatoire ne portent pas sur de simples questions de commodité administrative relativement à un petit pourcentage de la population; elles portent plutôt sur les répercussions qu'aurait la suppression d'une règle qui est généralement avantageuse pour les travailleurs sur les objectifs impérieux que vise le législateur. La retraite obligatoire n'est pas une politique du gouvernement au sujet de laquelle la charte peut être invoquée directement; il s'agit d'une entente négociée dans le secteur privé et elle ne peut relever de la charte que d'une façon indirecte parce que le législateur a tenté de protéger, et non pas de contester, une valeur reconnue par elle. La disposition en question n'a aucun objet discriminatoire. Pour les mêmes considérations analysées relativement à la question de l'atteinte minimale, il y a proportionnalité entre les effets de l'article 9 (a) du code sur le droit garanti et les objectifs de la disposition. Le législateur a voulu accorder une protection à un groupe qu'il estimait être celui qui en avait le plus besoin et il a exclu les autres en raison de considérations logiques et sérieuses dont il était raisonnablement fondé à croire qu'elles porteraient sérieusement atteinte aux droits des premiers. La ligne de démarcation est raisonnable et convenablement définie en fonction de l'âge, même si l'âge est un motif de discrimination prohibé. Ce point précis n'a pas été soumis à la Cour. En autorisant les programmes de promotion sociale en vertu de l'article 15 paragraphe 2, la charte reconnaît elle-même que des mesures légitimes prises pour traiter des problèmes d'inégalité peuvent elles-mêmes créer des inégalités. L'article premier de la charte devrait donc permettre d'apporter des solutions partielles à la discrimination lorsqu'il existe des motifs raisonnables de limiter une mesure.
M. le juge Sopinka souscrit aux raisons qu'invoque le juge La Forest pour conclure que l'université n'est pas une entité gouvernementale aux fins de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés. Les fonctions principales d'une université ne sont pas gouvernementales et ne sont donc pas directement assujetties à la charte. Cela s'applique a fortiori aux rapports qu'entretient l'université avec son personnel, qui, dans le cas des présents pourvois, reposent sur une base consensuelle. La réponse à la question de savoir si la politique et les pratiques des universités en matière de retraite obligatoire sont une loi ne peut reposer sur l'hypothèse que les universités sont des organismes gouvernementaux. En tentant de classer la conduite d'une entité dans une affaire donnée, il est important de savoir d'abord qu'il s'agit d'un organisme gouvernemental et, deuxièmement, qu'elle agit en cette qualité à l'égard de la conduite que l'on cherche à assujettir à un examen fondé sur la charte. Le rôle de la charte est de protéger l'individu contre le pouvoir coercitif de l'État. Il doit y avoir un élément de coercition pour que les dispositions adoptées par une institution puissent être qualifiées de loi. Pour décider en l'espèce si la politique et les pratiques relatives à la retraite obligatoire sont une loi, il faudrait présumer que des facteurs hautement pertinents sont présents. Une telle décision reposerait sur des considérations entièrement artificielles et ne ferait que déformer la loi. La conclusion selon laquelle la retraite obligatoire est justifiée en vertu de l'article premier est plus conforme aux principes démocratiques que la charte est destinée à maintenir. Une décision contraire imposerait à tout le pays un régime qui a été conçu non pas dans le cadre du processus démocratique mais par la puissance du droit.
M. le juge Cory: Les critères proposés par la juge Wilson pour déterminer si les entités dont il est évident en soi qu'elles ne font pas partie des secteurs législatif, exécutif ou administratif du gouvernement font néanmoins partie du gouvernement auquel s'applique la charte sont adoptés. Les conclusions de la juge Wilson selon lesquelles les universités font partie du «gouvernement» aux fins de l'article 32 de la charte et que leur politique de mise à la retraite obligatoire est sujette à un examen fondé sur l'article 15 et contrevient à l'article 15 parce qu'elle établit une discrimination fondée sur l'âge sont également adoptées. Cette politique survit cependant à un examen fondé sur l'article premier de la charte. Même si l'article 9 (a) du Human Rights Code, 1981 contrevient à l'article 15 paragraphe 1 de la charte parce qu'il établit une discrimination fondée sur l'âge, il constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit, au sens de l'article premier.
Mme la juge Wilson, dissidente: En vertu de l'article 32, la charte s'applique à la législation au sens large et aux actions du secteur exécutif ou administratif du gouvernement. Elle ne s'applique pas aux litiges entre particuliers qui n'ont pas de lien avec le gouvernement. La distinction entre l'action gouvernementale et l'action privée peut être difficile à établir dans certaines circonstances, mais le texte de la charte doit aussi être respecté. La charte n'a pas été conçue comme un moyen subsidiaire aux lois sur les droits de la personne pour ce qui est de résoudre des cas de discrimination privée. Il faut se poser les questions suivantes quant aux entités dont il n'est pas évident en soi qu'elles font partie des secteurs législatif, exécutif ou administratif du gouvernement, pour déterminer si elles sont assujetties à la charte: 1) Le secteur législatif, exécutif ou administratif du gouvernement exerce-t-il un contrôle général sur l'entité en question? 2) L'entité exerce-t-elle une fonction gouvernementale traditionnelle ou une fonction qui, de nos jours, est reconnue comme une responsabilité de l'État? 3) L'entité agit-elle conformément au pouvoir que la loi lui a expressément conféré en vue d'atteindre un objectif que le gouvernement cherche à promouvoir dans le plus grand intérêt public? Chacune de ces questions identifie des aspects du gouvernement dans son contexte contemporain. Une réponse affirmative à l'une ou à l'autre de ces questions constituerait un indice sérieux, mais rien de plus, qu'il s'agit d'une entité qui fait partie du gouvernement. Les parties peuvent expliquer pourquoi l'organisme en question ne fait pas partie du gouvernement ou, dans le cas d'une réponse négative, pourquoi quelque autre aspect que ne visent pas les questions formulées précédemment fait en sorte qu'elle fasse partie du gouvernement. En raison des divers liens qui existent entre la province et les universités, l'État exerce un contrôle important sur les universités au Canada. Il exerce ce contrôle: 1) par une participation considérable au financement, 2) par la nature législative de leur organisation, 3) par l'assujettissement de certains processus de décision à l'examen judiciaire et 4) par des politiques et des programmes exigeant l'approbation du gouvernement. Le gouvernement n'a pas été mêlé directement à la politique de mise à la retraite obligatoire établie par les universités. Cependant, il n'est pas essentiel d'établir un lien précis entre l'action contestée et le gouvernement. Les politiques et les pratiques internes des universités devraient se conformer aux préceptes de la Constitution. Le principe de la liberté académique, qui a une portée restreinte et qui protège seulement contre la censure des idées, n'est pas incompatible avec le contrôle administratif exercé par l'État dans d'autres domaines. Les universités font donc partie du «gouvernement» aux termes de l'article 32 de la charte et leur politique de retraite obligatoire est donc sujette à un examen fondé sur l'article 15 de la charte. Celui-ci est déclaratoire des droits de tous à l'égalité dans le système judiciaire. Si la garantie d'égalité n'est pas respectée par ceux à qui la charte s'applique, les tribunaux doivent remédier à cette inégalité. Le terme «loi», contenu à l'article 15, devrait recevoir une interprétation libérale qui englobe à la fois l'activité législative et les politiques et les pratiques, même si elles sont adoptées à la suite d'un consensus. La garantie d'égalité s'applique sans égard à la forme particulière de discrimination. La discrimination, qu'elle soit consciente ou non, se manifeste souvent par des pratiques plutôt officieuses. L'article 15 n'exige donc pas de chercher une «loi» discriminatoire au sens strict, mais simplement de chercher une discrimination qui doit être corrigée par la loi. En l'espèce, il n'est pas absolument nécessaire que la Cour suprême parvienne à une conclusion définitive sur cet aspect de l'article 15. En vertu de l'interprétation plus libérale du terme «loi», la politique à l'origine de la retraite obligatoire constitue une «loi» au sens de l'article 15. Même en vertu de l'interprétation la plus restrictive du terme «loi», la discrimination découle des lois habilitantes des universités et, en conséquence, l'atteinte au droit à l'égalité s'est produite de l'une des façons interdites. Toutes les façons auxquelles les universités ont eu recours pour imposer la retraite obligatoire constituent des «règles exécutoires», au sens large. Cela ne change rien que certaines règles découlent d'un processus de négociation collective; c'était en fait la loi du milieu du travail. La retraite obligatoire établit une distinction réelle et voulue entre différentes personnes ou groupes de personnes et cette distinction constitue de la discrimination. Le simple fait que la distinction fondée sur l'âge ne donne pas automatiquement lieu à une quelconque présomption irréfutable de préjugé nous amène plutôt à nous poser certaines questions. Y a-t-il préjugé? La politique de retraite obligatoire reflète-t-elle le stéréotype de la vieillesse? Un élément de la dignité humaine est-il en cause? Les professeurs sont-ils tenus de prendre leur retraite à 65 ans au motif non fondé qu'il y a diminution de la compétence et des capacités intellectuelles avec l'âge? La réponse à ces questions est oui et, en conséquence, les dispositions de l'article 15 sont violées. Les universités détiennent leur pouvoir en matière de relations de travail avec les professeurs et les employés en vertu de leurs lois habilitantes qui, en elles-mêmes, ne violent pas la charte. La mesure prise conformément à ces dispositions a entraîné la violation. Il n'est donc pas nécessaire de déterminer précisément si la politique concrète qui impose la retraite à 65 ans constitue une «règle de droit» au sens de l'article premier. Si les mesures qui prévoient la retraite obligatoire ne sont pas raisonnables et que leur justification ne peut se démontrer, elles ne relèvent pas du pouvoir des universités et doivent être annulées. La politique de retraite obligatoire ne peut satisfaire au critère de l'atteinte minimale. Ce critère est satisfait lorsque les autres moyens de traiter l'objectif avoué du gouvernement ne sont pas clairement meilleurs que le moyen adopté par le gouvernement. Il y a de meilleurs moyens en l'espèce. Même si les seules contraintes financières étaient suffisantes pour justifier une interprétation plus souple du critère de l'atteinte minimale, les faits de l'espèce ne justifient pas l'application de cette norme d'examen. La norme qui est présumée s'appliquer est celle de l'arrêt R. c. Oakes (C.S. Can., 1986-02-28), SOQUIJ AZ-86111022, J.E. 86-272, [1986] 1 R.C.S. 103, [1986] D.L.Q. 270, et ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que la rigueur du critère de l'arrêt Oakes devrait être assouplie. Les universités intimées n'ont pas réussi à démontrer que l'application d'un critère plus souple en vertu de l'article premier était appropriée. Même si ce critère était approprié, on n'a pas satisfait à cette norme. Il existe des moyens clairement meilleurs, comme en fait foi le succès des méthodes de rechange. Compte tenu de la nature des motifs pour lesquels la discrimination est interdite par l'article 15 et du fait que les droits à l'égalité sont au coeur même de la charte, il y a lieu de douter que les citoyens doivent être autorisés à renoncer à ces droits par contrat. Il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce. L'article 24 paragraphe 1 de la charte confère à la Cour un large pouvoir discrétionnaire pour accorder la réparation qu'elle estime convenable et juste, y compris le genre de redressement demandé par les appelants. Les principes ordinaires du droit des contrats ne doivent pas nécessairement dicter quelles sont les réparations convenables et justes au sens de l'article 24 paragraphe 1. Les tribunaux devraient s'efforcer de préserver les accords tout en les débarrassant de leurs éléments inconstitutionnels. Il n'y a pas lieu d'accorder d'injonction interlocutoire ou permanente. Les appelants sont rétablis dans leur situation en raison du jugement déclaratoire, de l'ordonnance de réintégration et de l'attribution de dommages-intérêts compensatoires. L'article 9 (a) du Human Rights Code, 1981 enfreint l'article 15 de la charte parce qu'il prive les employés âgés de plus de 65 ans de toute protection contre la discrimination en matière d'emploi. L'article 9 (a) doit être invalidé dans son entier. Il ne fait pas que permettre la retraite obligatoire, qui est l'objectif avoué du législateur; il a aussi pour effet de permettre toutes formes de discrimination fondées sur l'âge envers les personnes âgées de plus de 65 ans. Le volet du lien rationnel énoncé dans l'arrêt Oakes n'est donc pas respecté. En choisissant la bonne solution de la contestation constitutionnelle, la Cour doit tenir compte de l'étendue de l'incompatibilité de la disposition avec la charte. De toute façon, l'article 9 (a) ne survivrait pas au deuxième volet du critère de proportionnalité de l'arrêt Oakes. Si la majorité des personnes touchées par une loi subissent un préjudice démesurément grave par suite de la violation de leurs droits, la loi contestée ne porte pas le moins possible atteinte aux droits des personnes qu'elle vise. Même s'il est acceptable que des citoyens écartent par entente leurs droits fondamentaux en échange d'un gain économique, il reste que la majorité des travailleurs de la province n'ont pas accès à de tels arrangements.
Mme la juge L'Heureux-Dubé, dissidente: Les universités ne possèdent peut-être pas tous les éléments de nature gouvernementale nécessaires pour être considérées comme des organismes publics, mais elles ne sont pas non plus de nature entièrement privée. Leurs décisions internes sont sujettes au contrôle judiciaire, et leur création, leur financement et leur fonctionnement sont régis par des lois. Certaines fonctions publiques exécutées par les universités peuvent justifier un contrôle fondé sur la charte. Le test général proposé par la juge Wilson quant à l'étendue du gouvernement et de l'action gouvernementale aux fins de l'article 32 paragraphe 1 de la charte devrait être retenu. Les universités ne peuvent cependant être qualifiées de gouvernement en vertu de ce test, essentiellement pour les motifs exposés par le juge La Forest. L'analyse historique conduit à la même conclusion que la méthode fonctionnelle: les universités canadiennes ont toujours férocement défendu leur indépendance. Le mot «gouvernement», selon le sens qu'on lui attribue généralement, n'a jamais englobé les universités telles qu'elles étaient et telles qu'elles sont actuellement constituées. Il n'est donc pas nécessaire de répondre aux questions nos 4 et 5. L'article 9 (a) du Human Rights Code, 1981 constitue une discrimination déraisonnable et injuste fondée sur l'âge envers des personnes de plus de 65 ans en violation de l'article 15 paragraphe 1 de la charte. Il constitue un obstacle arbitraire et artificiel qui empêche des personnes âgées de plus de 65 ans de porter plainte au sujet d'une discrimination en matière d'emploi. La violation des dispositions de l'article 15 paragraphe 1 ne peut être justifiée en vertu de l'article premier. Il n'existe aucune preuve convaincante établissant que la retraite obligatoire et le système de permanence sont étroitement liés. La valeur de la permanence est menacée par l'incompétence et non par le vieillissement. La présomption d'une incapacité d'enseigner à l'âge de 65 ans n'est pas bien fondée. Même en supposant qu'un objectif légitime existe, les moyens utilisés sont trop envahissants. Les personnes de plus de 65 ans sont exclues de la protection du code seulement en raison de leur âge et, indépendamment des circonstances, elles sont privées du recours à des lois protectrices et réparatrices en matière de droits de la personne. Depuis l'époque où l'âge de la retraite a été fixé à 65 ans, les progrès de la science médicale et l'amélioration des conditions de vie ont considérablement augmenté l'espérance de vie et amélioré sa qualité. Une «élite» peut se permettre de prendre sa retraite, mais ce sont les pauvres qui souffrent le plus cruellement des effets néfastes de la retraite obligatoire. Les femmes sont particulièrement touchées car elles sont moins susceptibles de bénéficier de pensions de retraite suffisantes. Il n'y a pas de justification raisonnable à un régime fixant à 65 ans l'âge de la retraite obligatoire. L'article 9 (a) du code peut en être retranché et devrait donc être entièrement invalidé pour cause d'inconstitutionnalité.