Résumé de l'affaire:

L et W,  ainsi que 229 autres investisseurs, ont participé au Programme fédéral d’immigration des gens d’affaires en achetant des débentures de  WCSC qui avait été constituée en société par D, son unique actionnaire, dans le but de faciliter à des immigrants investisseurs l’obtention du statut de résident permanent au Canada. WCSC a sollicité des fonds dans deux offres d’investissement dans des propriétés de rapport.  Après le dépôt des fonds des investisseurs, WCSC a acheté à CRI, pour la somme de 5 550 000 $, les droits sur un bail de surface visant des terres publiques et  s’est engagé à verser 16,5 millions de dollars supplémentaires pour des améliorations de surface. Pour financer les obligations de WCSC envers CRI,  D a demandé l’émission des débentures de  la  série  A pour un montant total en principal de 22 050 000 $ à certains investisseurs. D a avancé des fonds additionnels à CRI et des débentures correspondantes ont été émises, notamment les débentures des séries E et F.  Les débentures ont été regroupées par la suite. Quand CRI a annoncé qu’elle ne pouvait pas payer les intérêts sur les débentures, L et W, les représentants des demandeurs, ont intenté un recours collectif alléguant que  D et divers associés et sociétés apparentées de WCSC avaient manqué à leurs obligations fiduciaires envers les investisseurs par une mauvaise gestion de leurs fonds. Les défendeurs ont demandé à la Cour du Banc de la Reine un jugement déclaratoire et une ordonnance radiant la partie de la déclaration dans laquelle les demandeurs disaient représenter, en vertu de la règle 42 des Alberta Rules of Court un groupe de 231 investisseurs.  Le juge en chambre a rejeté la demande. La majorité en Cour d’appel a maintenu sa décision mais a accordé aux défendeurs le droit de faire l’interrogatoire préalable de chacun des 231 demandeurs.  Les défendeurs ont fait appel devant notre Cour et les demandeurs ont fait un appel incident contre la décision de la cour d’appel d’autoriser l’interrogatoire individuel de chaque membre du groupe.

Arrêt : L’appel est rejeté et le pourvoi incident est accueilli.

 

En Alberta, la procédure des recours collectifs est régie par la règle 42 des Alberta Rules of Court, mais en l’absence de législation complète, les tribunaux doivent combler les lacunes en exerçant leur pouvoir inhérent d’établir les règles de pratique et de procédure applicables aux litiges dont ils sont saisis. Les recours collectifs devraient être autorisés en vertu de la règle 42 lorsque les conditions suivantes sont réunies :  (1) le groupe peut être clairement défini; (2) des questions de droit ou de fait sont communes à tous les membres du groupe; (3) le succès d’un membre du groupe signifie le succès de tous; et (4) le représentant proposé représente adéquatement les intérêts du groupe.    Si ces conditions sont réunies, le tribunal doit également être convaincu, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu’il n’existe pas de considérations défavorables qui l’emportent sur les avantages que comporte l’autorisation d’un recours collectif. Le tribunal devrait prendre en considération les avantages que le recours collectif offre dans les circonstances de l’affaire ainsi que les injustices qu’il peut provoquer. En fin de compte, le tribunal doit concilier efficacité et équité. La nécessité de concilier efficacité et équité démentit l’idée  qu’un recours collectif ne devrait être radié que lorsque le vice est « évident et manifeste ».   En matière de procédure, tous les participants possibles devraient être informés de l’existence de la poursuite, des questions communes que la poursuite cherche à résoudre ainsi que du droit de chaque membre du groupe de se retirer, et ce avant que ne soit rendue une décision pouvant avoir une incidence, défavorable ou non, sur les intérêts des membres du groupe. Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déterminer comment les questions individuelles devraient être abordées, une fois que les questions communes ont été résolues.  Sans législation complète en matière de recours collectif, les tribunaux doivent régler les complications procédurales cas par cas, de manière souple et libérale, en cherchant à concilier efficacité et équité.

En l’espèce, les conditions essentielles à l’exercice d’un recours collectif sont réunies et l’efficacité et l’équité militent en faveur de son autorisation. Les arguments des défendeurs contre le recours ne sont pas convaincants. Si des différences existent entre les investisseurs, le fait est qu’ils ont essentiellement les mêmes revendications qui exigent la résolution des mêmes faits. Si des différences importantes surviennent, le tribunal peut régler la question  le moment venu.  De plus, on ne devrait pas interdire un recours collectif en raison de l’incertitude relative à la résolution de questions communes à tous les membres du groupe.  Si on juge que les investisseurs doivent faire la preuve d’un lien de confiance individuel pour établir le manquement aux obligations fiduciaires, le tribunal peut alors décider si le recours collectif doit ou non se poursuivre. Cela s’applique aussi à l’argument selon lequel des défenses différentes seront invoquées envers différents membres du groupe. Cette simple possibilité n’interdit pas le recours collectif.  Si différentes défenses sont invoquées,  le tribunal peut alors résoudre le problème ou retirer l’autorisation du recours collectif.

 

Enfin, il serait prématuré d’autoriser l’interrogatoire préalable individuel à cette étape-ci. Les défendeurs devraient être autorisés à interroger les représentants des demandeurs comme ils en ont le droit, mais  l’interrogatoire des autres membres du groupe ne devrait être autorisé que par ordonnance de la cour, si les défendeurs prouvent que cela est raisonnablement nécessaire.


Dernière modification : le 22 juillet 2022 à 12 h 54 min.