Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d'autorisation pour exercer une action collective et une demande d'ordonnance de sauvegarde et d'un autre ayant rejeté une demande d'ordonnance de sauvegarde. Accueilli en partie. Requête en modification d'un acte de procédure. Accueillie.
L'appelante agit à titre de société de gestion au sens de la Loi sur le droit d'auteur. En cette qualité, elle assure la gestion collective des droits d'auteur de plusieurs auteurs et associations regroupés sous sa direction. Au nom de ses membres, l'appelante offre à sa clientèle, notamment aux universités, la possibilité de recourir à une licence les autorisant à reproduire partiellement ou en totalité de répertoires d'oeuvres moyennant le paiement de droits préétablis. Ce système de licence est celui qui a existé entre les parties de 1999 à 2014. Le 10 mars 2014, l'intimée a informé l'appelante de son intention de ne pas renouveler sa licence globale se terminant le 31 mai suivant. Pour pallier ce système de licence, l'intimée a adopté une politique en faveur de ses étudiants et de son personnel enseignant en vue de favoriser une utilisation équitable du matériel de cours tiré d'oeuvres protégées par la Loi sur le droit d'auteur. Elle a également adopté un règlement pour faciliter l'accès à celles-ci. Au soutien de sa demande d'autorisation d'exercer une action collective, l'appelante reproche à l'intimée de violer les droits patrimoniaux et moraux des auteurs par la reproduction non autorisée de leurs oeuvres, contrevenant ainsi à la Loi sur le droit d'auteur. Le juge de première instance a conclu que l'appelante ne s'était pas acquittée de son fardeau de démonstration en proposant des questions communes aux membres du groupe (art. 575 paragr. 1 du Code de procédure civile (C.P.C.)) et en ne désignant pas une représentante ayant l'intérêt suffisant pour assurer adéquatement leur représentation (art. 575 paragr. 4 C.P.C.). Le même jugement a rejeté une demande d'ordonnance de sauvegarde qui visait à forcer l'intimée à colliger et à protéger certaines informations durant l'instance. Le 25 mars 2015, un autre jugement de la Cour supérieure rejetait cette fois une demande d'ordonnance de sauvegarde additionnelle, dans laquelle l'appelante demandait à l'intimée de produire un registre numérique permettant de déterminer et de colliger les oeuvres reproduites. L'appelante appelle de ces deux jugements.
Décision
M. le juge Gagnon: En ce qui a trait au droit applicable en matière d'autorisation d'une action collective, le Code de procédure civile n'exige pas que la réponse à la question posée soit nécessairement commune à tous les membres du groupe. La seule condition imposée par le paragraphe 1 de l'article 575 C.P.C., qui doit être lue avec ouverture et bienveillance, consiste à établir une question capable de faire progresser le règlement d'une bonne partie du litige d'une façon non négligeable pour l'ensemble des membres du groupe (Vivendi Canada Inc. c. Dell'Aniello (C.S. Can., 2014-01-16), 2014 CSC 1, SOQUIJ AZ-51034241, 2014EXP-244, J.E. 2014-124, [2014] 1 R.C.S. 3). En outre, il est important de maintenir une approche libérale au moment de décider si la condition de la question commune est respectée. En l'espèce, le juge s'est aventuré sur le fond du litige pour décider du caractère commun ou non des questions proposées par l'appelante. Ce faisant, il s'est écarté de la norme de la simple «démonstration». Le juge a opéré un renversement du fardeau de démonstration en concluant que les critères établis dans CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada (C.S. Can., 2004-03-04), 2004 CSC 13, SOQUIJ AZ-50223890, J.E. 2004-602, [2004] 1 R.C.S. 339, pour fonder le droit à l'utilisation équitable ne se prêtaient pas à une analyse collective, du moins quant à l'affaire dont il était saisi. Par ailleurs, il aurait dû prêter attention aux présomptions de faits et de droit qui s'appliquent à la demande de l'appelante. Tout d'abord, il devait tenir pour avérées les allégations de la demande. Ensuite, pour toutes les procédures engagées en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, la loi crée une présomption selon laquelle l'oeuvre visée par l'action judiciaire est présumée protégée par le droit d'auteur. Enfin, l'appelante pouvait plaider la présomption rattachée à la propriété de l'oeuvre découlant de l'inscription du nom de l'auteur ou de celui de l'éditeur sur l'oeuvre, selon le cas. L'ensemble de ces présomptions créait une preuve suffisante permettant au projet d'action judiciaire de franchir aisément le seuil de la «cause défendable». L'action collective ne fait pas obstacle à une réclamation de nature extrapatrimoniale. Au surplus, comme la question principale portant sur la violation alléguée du droit d'auteur peut faire l'objet d'une action collective, cela suffit en soi pour permettre, au stade de l'autorisation, d'accepter la question connexe portant sur la violation des droits moraux des auteurs. Quant à l'intérêt pour agir, cette question doit être contextualisée. Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu'il serait impossible que l'affaire survive équitablement. Or, même si l'appelante ne détient personnellement aucun droit d'auteur, il ne saurait faire de doute qu'elle possède l'intérêt suffisant pour agir au nom des membres du groupe afin de faire valoir leurs droits patrimoniaux. La possibilité qu'un représentant n'ait pas l'intérêt voulu pour représenter un sous-groupe en particulier ne fondait pas à elle seule à rejeter l'ensemble de la demande de l'appelante.
L'avis d'appel déposé par l'appelante crée une certaine confusion quant à l'étendue de son pourvoi. La référence au jugement interlocutoire du 25 mars 2015 dont l'appel est régi par les dispositions du Code de procédure civile (C.P.C.) (ancien) laisse entendre qu'elle souhaite appeler de ce jugement, alors que les procédures qui ont donné lieu au jugement du 26 février 2016 reprennent déjà, dans une large mesure, les conclusions rejetées le 25 mars 2015. Si, donc, l'appel devait porter sur ce dernier jugement, il est irrégulièrement formé (art. 29 al. 1 et 511 al. 1 C.P.C. (ancien)) et, de toute façon, tardif (art. 494 al. 3 C.P.C. (ancien)). Si, par ailleurs, l'appel vise à remettre en question la conclusion du jugement du 26 février 2016 qui a rejeté la demande d'ordonnances de sauvegarde, cette partie de l'appel est mal fondée et doit être rejetée. En effet, l'ordonnance recherchée par l'appelante est davantage de la nature d'un ordre de faire que d'une simple question de sauvegarde. Il n'est pas de la responsabilité de l'Université de produire pour le compte de l'appelante la preuve que cette partie entend invoquer au fond. D'autre part, une ordonnance de sauvegarde a été rendue par la Cour supérieure le 3 février 2015, et ce, de consentement. Cette ordonnance continue à s'appliquer au stade de l'appel. Dans ces circonstances, cet aspect du pourvoi doit être rejeté.