Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté en partie la réclamation de l'appelante. Rejeté.
En avril 1998, les parties ont conclu un contrat d'une durée d'un an aux termes duquel l'intimé retenait les services de l'appelante pour l'entretien de son parcours de golf moyennant le paiement d'honoraires de 60 000 $. Insatisfait des services fournis, l'intimé a résilié le contrat le 15 juillet suivant. L'appelante a alors réclamé le solde de ses honoraires ainsi que le paiement de dommages-intérêts. Le juge de première instance a interprété de manière restrictive le mot «préjudice» contenu à l'article 2129 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Il a estimé que l'appelante n'avait pas droit à des honoraires pour la période subséquente au 15 juillet (32 219 $) et il a refusé de lui accorder une indemnité à titre de perte de profit. Comme l'appelante avait déjà reçu 32 000 $, il a accueilli son action jusqu'à concurrence de 219 $. Cette dernière prétend que l'interprétation qu'a donnée le juge du mot «préjudice» a pour effet de rendre inutile la signature d'un contrat à durée indéterminée puisque le client pourrait y mettre fin en payant seulement la valeur des services rendus. L'intimé allègue quant à lui que l'interprétation libérale proposée par l'appelante viderait de tout son sens l'article 2125 C.C.Q.
Décision
M. le juge Forget: Sous l'ancien droit, l'interprétation restrictive prévalait dans l'évaluation du préjudice subi par l'entrepreneur dont le contrat était résilié (art. 1691 du Code civil du Bas Canada). L'Office de révision du Code civil avait proposé un texte prévoyant, comme en droit français, une indemnité pour les gains dont l'entrepreneur était alors privé. L'article 2197 de l'Avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des obligations, de 1987, avait adopté une position semblable, mais le législateur n'a pas retenu cette approche. Comme il a plutôt choisi de reprendre une disposition similaire à celle qui était en vigueur sous l'ancien droit, on doit en conclure qu'il a préféré l'interprétation restrictive adoptée par la jurisprudence majoritaire. Une interprétation littérale de l'article 2129 C.C.Q., même si elle n'est pas déterminante, conduit au même résultat. En effet, si l'on donne au mot «préjudice» un sens plus étendu, le premier alinéa de cette disposition serait alors inutile. D'autre part, une lecture comparée des articles 2125 et 2126 C.C.Q. démontre que le législateur a voulu privilégier le client par rapport à l'entrepreneur et au prestataire de services. Cette dérogation importante aux principes de l'effet obligatoire des contrats (art. 1434 C.C.Q.) s'explique par la nature de ce genre de contrat, qui revêt souvent un caractère personnel et rend difficile la poursuite des relations contractuelles lorsque le lien de confiance a été rompu. Or, si le client doit payer à son cocontractant une indemnité pour la perte de profit éventuel, il ne tire aucun avantage du droit que lui confère l'article 2125 C.C.Q. En l'espèce, si l'on retenait la prétention de l'appelante selon laquelle elle a droit au paiement de toutes les sommes prévues au contrat, l'intimé serait pénalisé par la résiliation du contrat. Il se retrouverait alors dans la même situation que la partie qui a commis une faute contractuelle en invoquant un motif non fondé. Il faut distinguer l'indemnité résultant de l'exercice d'un droit de celle découlant de l'inexécution d'une obligation. On doit donc conclure que le législateur a dérogé aux règles générales prévues aux articles 1604 et 1611 C.C.Q. concernant la résolution ou la résiliation des contrats et l'évaluation des dommages-intérêts. Par conséquent, le juge de première instance a eu raison de rejeter la réclamation fondée sur une perte de profit, d'autant plus que l'appelante n'avait pas fait la preuve de ses dommages.