Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour du Québec ayant rejeté un recours en réclamation de dommages-intérêts (84 999 $) pour cause de prescription. Accueilli.
En février 2013, l'appelante a obtenu un jugement contre son ex-conjoint de fait, Gagnon. Ce jugement, tout en faisant droit en partie à la demande reconventionnelle de Gagnon (sujet à compensation), a condamné celui-ci à payer diverses sommes à l'appelante, à faire le nécessaire pour radier dans un délai de 60 jours une hypothèque sur l'immeuble appartenant en copropriété aux parties et à transférer la propriété de l'immeuble en question, à défaut de quoi certaines conclusions subsidiaires étaient prévues. Lors du procès, l'avocat intimé, qui représentait Gagnon, a admis, au nom de son client, la capacité financière de payer les sommes réclamées aux procédures. Toutefois, le 15 mars 2013, l'intimé a adressé à l'avocate de l'appelante une lettre dans laquelle il a annoncé que son client ne pouvait faire face à ses obligations en raison de ses difficultés financières, lesquelles dataient de juin 2012. L'admission que Gagnon a faite par l'intermédiaire de son avocat, lors du procès de décembre 2012, était donc mensongère puisque, à cette date, il savait déjà qu'il n'était pas en mesure de faire face aux réclamations de l'appelante si elle devait avoir gain de cause. Le 20 mars suivant, l'avocate de l'appelante a transmis une lettre à l'intimé l'informant que sa cliente le tenait personnellement responsable de toutes les pertes qu'elle pourrait subir si Gagnon manquait à son obligation de satisfaire au jugement prononcé contre lui. Avant de disparaître dans la nature, Gagnon a fait cession de ses biens et a été libéré de sa faillite le 23 janvier 2015. Le 1er avril 2016, l'appelante a entrepris le présent recours contre l'intimé. Le juge de première instance a conclu que celui-ci était prescrit et l'a rejeté sans se prononcer sur le fond du litige.
Décision
Conformément à l'article 2880 du Code civil du Québec, le droit d'action de l'appelante ne pouvait naître avant que le préjudice ne soit lui-même né, actuel et connu d'elle. Or, malgré la lettre de l'intimé datée du 15 mars 2013 affirmant que Gagnon ne pouvait respecter ses obligations et qu'il avait consulté un syndic, l'appelante ne pouvait avoir, à cette date, une certitude suffisante que le jugement rendu ne serait pas exécuté. Quant à la lettre du 20 mars envoyée par son avocate, elle n'était que le prélude à des événements éventuels qui ne surviendraient qu'en cas d'inexécution (d'où la précision «si votre client fait défaut de satisfaire au jugement»). Il fallait donc que, dans les faits, Gagnon n'exécute pas le jugement. Or, c'est le 5 avril 2013 seulement, lorsque Gagnon a fait cession de ses biens, que cette inexécution s'est matérialisée, et c'est par l'avis de surseoir que l'appelante a appris, le 8 avril suivant, la faillite de son ex-conjoint. À partir de ce moment, le jugement en question ne pouvait plus faire l'objet des mesures d'exécution forcée. Ainsi, c'est lorsqu'elle a dû entreprendre des démarches en vue de récupérer, auprès du syndic, une partie des sommes qui lui étaient dues et l'immeuble visé par ce jugement que son préjudice s'est cristallisé pour la première fois, en raison des dépenses qu'elle dû supporter à cette fin et des efforts qu'elle a dû y mettre. Il y a donc lieu de conclure que le juge a erré en fixant la date du point de départ de la prescription au 20 mars 2013. En l'espèce, ce point de départ ne peut être antérieur au 8 avril 2013 et, par conséquent, l'action, intentée le 1er avril 2016, n'est pas prescrite, et ce, peu importe le chef de réclamation. Dans ces circonstances, il convient de renvoyer l'affaire à la Cour du Québec pour le jugement sur le fond.


Dernière modification : le 10 août 2022 à 13 h 13 min.