Résumé de l'affaire
Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli l'action en dommages-intérêts des intimées (8 425 000 $). Appels principaux rejetés et appels incidents accueillis en partie, avec dissidence partielle.
Le 20 mai 1990, l'abattoir de veaux de l'intimée Prima Viande ltée a été détruit par un incendie. Les murs et les plafonds de cet édifice, qui venait d'être rénové et agrandi, étaient recouverts de panneaux «Arcoplast», fabriqués par l'appelante Manac inc./Nortex. La distribution et la vente exclusives ainsi que l'installation avaient été confiées à la coappelante, Systèmes intérieurs Atlas inc. (SIA). Les panneaux étaient constitués d'uréthane au centre et recouverts de deux couches en laminé composite ainsi que d'un gel très lisse et sans porosité, caractéristiques qui répondaient apparemment aux exigences sanitaires très élevées d'un abattoir. Les intimées ont prétendu que l'Arcoplast, sans être la cause de l'incendie, avait contribué à sa propagation fulgurante. L'assureur de Prima, la coïntimée Boiler Inspection and Insurance Company of Canada, lui a versé une indemnité d'assurance de neuf millions de dollars. Celles-ci ont poursuivi Nortex, SIA ainsi que les architectes qui ont participé au projet de rénovation et d'agrandissement. Elles ont réclamé la valeur des dommages liés à la destruction de l'immeuble, que les parties ont fixée à 8 425 000 $, et 3 788 014 $ à titre de perte de revenus. En 1993, l'intimée Écolait ltée a acquis tous les droits de Prima et a repris l'instance. Le juge de première instance a conclu que les panneaux Arcoplast avaient été responsables de la propagation de l'incendie, qu'ils avaient été mis sur le marché de manière prématurée, qu'ils ne répondaient pas aux normes établies en matière de protection des mousses plastiques et que les déclarations de Nortex et SIA au sujet de leur incombustibilité étaient fausses. Il a condamné solidairement les appelantes et les architectes — à qui il a reproché d'avoir omis de vérifier la conformité d'un produit avant de l'intégrer dans le projet — à payer 8 425 000 $ pour la perte de l'abattoir. La responsabilité des architectes a été fixée à 10 % et celle de Nortex et de SIA, à 45 % chacune. Les intimées n'ont toutefois pas eu droit à la totalité des frais d'expert réclamés, le juge ayant retranché 533 409 $ de leur réclamation, d'où leur appel incident. Les appelantes nient le caractère dangereux de l'Arcoplast, qui serait un matériau conforme aux normes applicables et dont les qualités d'incombustibilité n'auraient pas été exagérées, les informations nécessaires se trouvant d'ailleurs dans les dépliants publicitaires. En outre, comme l'origine de l'incendie est inconnue, il serait impossible de savoir si l'Arcoplast aurait propagé le feu et de quelle manière. Par ailleurs, SIA prétend que le juge aurait erré en concluant que Prima avait choisi ce matériau en raison de son incombustibilité et que les panneaux avaient été mal assemblés. Elle soutient de plus que l'action des intimées était en fait une réclamation pour vice caché. Or, SIA ne pouvait être tenue à la garantie légale du vendeur.
Décision
Mme la juge Bich: Même s'il comporte quelques inexactitudes dans les faits, le jugement dont appel n'est pas entaché d'une erreur manifeste et déterminante. La propension du panneau Arcoplast à un embrasement aussi soudain que violent après quelques minutes d'exposition au feu a été démontrée. Le juge a conclu que cette propension avait été le vecteur de la propagation de l'incendie; l'embrasement de tous les panneaux a fait en sorte que ceux-ci sont devenus le combustible et a causé la destruction totale de l'abattoir. Pour arriver à cette conclusion et retenir un lien de causalité entre la propagation de l'incendie et les caractéristiques de l'Arcoplast, le juge n'avait pas besoin d'une certitude scientifique. Selon lui, sans ces caractéristiques, l'incendie n'aurait pas été d'une si grande ampleur ni d'une si grande violence. Ces conclusions étaient fondées sur les témoignages des experts et sur un ensemble de circonstances lui permettant de tirer des inférences sur la cause de la propagation de l'incendie. La décision du juge de rejeter l'hypothèse de l'incendie intentionnel, invoquée par l'un des experts de Nortex mais aucunement appuyée par le reste de la preuve, était entièrement justifiée tout comme celle de ne pas retenir la responsabilité du service de pompiers appelé sur les lieux de l'incendie. D'autre part, il a estimé que les panneaux d'Arcoplast ne respectaient pas les normes prévues au Code national du bâtiment en vigueur au moment de la rénovation de l'abattoir et que leur mise en marché avait été précipitée. À ce dernier égard, il faut considérer que, au même moment où Nortex a confié à un tiers le soin de créer un nouveau type de panneau avec âme en uréthane, elle a conclu avec Prima un contrat pour la vente et l'installation des panneaux Arcoplast dans son abattoir. Lorsque SIA a commencé ses travaux d'installation, les panneaux n'avaient pas été véritablement testés ou évalués. Ce n'est pourtant pas ce que déclare la brochure de mise en marché de SIA, qui reproduit en bonne partie les informations fournies par Nortex. Le produit Arcoplast n'était pas encore au point lorsqu'il a été vendu à Prima; son développement s'est poursuivi tout au long des travaux d'installation. Quant aux fausses déclarations de Nortex et de SIA au sujet des caractéristiques de l'Arcoplast, le juge a conclu que la présentation du produit s'était notamment faite sur ses qualités d'incombustibilité. Si cette particularité n'était pas au coeur de la décision de Prima, elle constituait un élément non négligeable. L'on ne peut reprocher à cette dernière de ne pas avoir compris, à la lecture de la brochure ou lors de la présentation du produit par SIA, que le panneau dont on lui vantait l'incombustibilité était combustible et qu'il était encore en développement. L'Arcoplast a été vendu à Prima sur la foi de renseignements qu'elle tenait de Nortex, et qui étaient incomplets et inexacts. Le juge n'a pas explicitement conclu à l'existence d'un vice caché dans l'Arcoplast, même si toutes ses déterminations factuelles mènent à une telle conclusion. En effet, ce vice résulte d'une mauvaise conception du produit, dont le revêtement a une propension anormale à l'embrasement et qui devient ainsi le vecteur d'une propagation violente de la flamme. Le fait que cette caractéristique n'était pas connue du vendeur ou du fabricant engendrait un très grand risque. Il s'agit d'une caractéristique qui rend le bien impropre à l'usage auquel il était destiné ou qui en diminue substantiellement l'usage. En plus d'avoir été mal conçus, les panneaux ont été mal installés. Il ne s'agit pas d'un vice qui aurait pu être constaté par Prima ou par les personnes qui l'ont conseillée. On ne pouvait exiger d'elles qu'elles procèdent à des vérifications qui auraient dû être effectuées lors de la conception du produit, bien avant sa mise en marché et sa vente. Nortex est responsable de la perte de l'abattoir. Le fait qu'elle ignorait le vice de l'Arcoplast ne peut l'exonérer de sa responsabilité, puisqu'elle était présumée le connaître (art. 1527 du Code civil du Bas Canada (C.C.)). Elle n'a pu repousser cette présomption; elle n'a pas démontré que les connaissances scientifiques de l'époque l'auraient empêchée de déceler le vice ni qu'il s'agissait d'une force majeure ou de la faute d'un tiers. Contrairement à ce que prétendent les appelantes, Prima n'avait pas à installer dans son abattoir un système de protection contre les incendies; aucune disposition de la réglementation municipale ou du Code national du bâtiment ne l'y obligeait. En plus de sa responsabilité fondée sur le vice caché, Nortex aurait également pu être tenue responsable en vertu de l'article 1053 C.C. compte tenu de la prématurité et de la précipitation de la mise en marché de l'Arcoplast. SIA a aussi participé au développement de ce produit, quoique dans une moindre mesure. De plus, elle est un vendeur professionnel. Sa responsabilité envers Prima obéit aux mêmes règles que celle de Nortex. Elle non plus n'a pu repousser la présomption de connaissance du vice de conception du matériau et sa responsabilité est aussi engagée en vertu de l'article 1053 C.C. Par ailleurs, que l'on retienne la responsabilité des appelantes en vertu de cette disposition ou en vertu de la garantie légale contre les vices cachés, la solidarité entre elles s'impose. Compte tenu de la jurisprudence de l'époque et des dispositions de l'article 1105 C.C., il faut conclure à la responsabilité solidaire du fabricant et du vendeur. Les appelantes étaient partenaires dans le développement de l'Arcoplast, même si SIA a joué un rôle moins important. Le juge a partagé également la responsabilité des appelantes. Il n'existe aucun motif d'intervenir eu égard à cette conclusion.
M. le juge Beauregard, à l'opinion duquel souscrit la juge Bich: La somme de 11 954 $ doit être accordée aux intimées en remboursement des honoraires de leurs experts. Leur réclamation d'une somme additionnelle de 521 455 $ ne peut être accueillie. La détermination de la valeur d'une expertise relève du pouvoir souverain du juge d'instance et, en l'absence d'erreur manifeste de sa part à cet égard, il n'y a pas lieu d'intervenir.
M. le juge Vézina, dissident en partie: Les intimées, qui avaient réclamé plus de 2 millions de dollars en frais d'expert, ont obtenu 1,7 million. Le juge de première instance a justifié une première réduction de 11 954 $ par le fait qu'aucun témoin de la firme ayant reçu cette somme n'avait témoigné, ce qui est inexact. Cette erreur doit être corrigée. Par ailleurs, il a estimé que les témoins experts avaient passé plus de temps que nécessaire au tribunal. Or, si une partie de ces heures était superflue, c'est que l'autre partie était nécessaire. La réduction qu'il a effectuée était excessive. Il serait équitable dans les circonstances de considérer que la moitié du temps que les experts ont passé au tribunal était nécessaire. Ainsi, les intimées auraient dû obtenir une somme additionnelle de 266 570 $.