Résumé de l'affaire
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique annulant une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Rejeté.
L'intimé M était un consultant en immigration qui offrait ses services par l'intermédiaire d'une société d'experts-conseils en immigration («Westcoast»). Il n'avait pas étudié le droit au Canada et n'était pas membre du Barreau de la Colombie-Britannique. M et d'autres employés de Westcoast se livraient à plusieurs activités concernant des procédures en matière d'immigration. Ils comparaissaient notamment à titre de conseils ou d'avocats pour le compte d'étrangers devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié («CISR»), dans le but ou dans l'espoir d'obtenir une rétribution. Le Barreau a déposé une demande d'injonction permanente contre M et Westcoast afin de les empêcher d'exercer le droit contrairement à la Legal Profession Act (S.B.C. 1987, c. 25). M et Westcoast ont admis qu'ils exerçaient le droit au sens de l'article 1 de la Legal Profession Act, mais ont soutenu que leur conduite était sanctionnée par les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration qui permettent à des non-avocats de comparaître pour le compte de clients devant la CISR. Le juge a délivré l'injonction sollicitée pour le motif que les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration n'autorisaient pas l'exercice du droit. Subsidiairement, il aurait accordé cette injonction pour le motif que les dispositions en cause excédaient la compétence du Parlement. La Cour d'appel a annulé l'injonction. Dans le présent pourvoi, il s'agit principalement de déterminer si les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration relèvent de la compétence du Parlement et si l'article 26 de la Legal Profession Act, qui interdit l'exercice du droit à toute personne autre qu'un membre en règle du Barreau ou qu'une personne figurant dans la liste d'exceptions, est inopérant du point de vue constitutionnel à l'égard des personnes agissant en vertu des articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration et ses textes d'application. En notre Cour, l'intimée S a été ajoutée à l'instance pour le motif qu'elle est consultante en immigration et qu'elle se livre aux mêmes activités que M, étant donné que M est devenu membre du Barreau de l'Alberta peu après que l'autorisation de pourvoi devant notre Cour eut été accordée.
Décision
M. le juge Gonthier: De par leur caractère véritable, les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration ont pour objet d'accorder certains droits aux étrangers dans le processus administratif d'immigration. Ils leur confèrent le droit de se faire représenter, moyennant rétribution, par un avocat ou un autre conseil dans les procédures devant la section d'arbitrage et la section du statut. Ils permettent également aux étrangers de bénéficier des documents que le conseil ou conseiller en question a préparés en vue des procédures, et d'obtenir des avis sur des questions pertinentes quant à leur dossier, avant l'ouverture de ces procédures. La question de savoir qui les étrangers peuvent choisir pour les représenter devant la section d'arbitrage et la section du statut ressortit aux droits procéduraux qu'ils possèdent en matière quasi judiciaire. Cette matière relève de la compétence relative à la naturalisation et aux aubains que le Parlement possède en vertu de l'article 91 paragraphe 25 de la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence législative fédérale dans le domaine de la naturalisation et des aubains comporte le pouvoir d'établir un tribunal comme la CISR, étant donné qu'elle inclut le pouvoir de décider qui est un étranger et qui devrait être naturalisé. La capacité de prescrire les pouvoirs d'un tel tribunal et sa procédure, dont la procédure de comparution devant lui, découle de cette compétence.

La matière visée par les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration relève également de la compétence provinciale relative aux droits civils dans la province. Ces dispositions ont trait à la profession juridique et donc aux professions en général. Dans le cadre de leur compétence en matière de réglementation des professions, les provinces ont le pouvoir de réglementer l'exercice du droit en vertu de l'article 92 paragraphe 13 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les avocats font partie intégrante de l'administration de la justice; dans cette mesure, le pouvoir des provinces d'adopter des lois relatives aux avocats peut donc tout aussi bien découler du paragraphe 14 que du paragraphe 13 de l'article 92. Dans la mesure où elle comporte l'exercice du droit, la comparution devant la CISR en qualité de conseil ou conseiller est autant visée par l'article 26 de la Legal Profession Act que par les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration.

Étant donné que la représentation des étrangers par un conseil ou conseiller devant la CISR comporte un aspect fédéral et un aspect provincial, dans ce domaine, les lois fédérales et les lois provinciales ainsi que leurs textes d'application respectifs coexistent dans la mesure où ils n'entrent pas en conflit. En cas de conflit, la loi fédérale l'emportera conformément à la règle de la prépondérance. Le fait que la matière visée aux articles 30 et 69 (1) comporte un double aspect joue en faveur de l'application de la règle de la prépondérance plutôt que de celle de l'exclusivité des compétences. L'application de la règle de la prépondérance préserve le contrôle du Parlement sur les tribunaux administratifs qu'il crée. En même temps, elle préserve le principe du contrôle unifié de la profession juridique par les divers barreaux au Canada. L'immigration relève en général de la compétence concurrente du fédéral et des provinces. C'est ce qu'établit l'article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit lui-même la prépondérance fédérale. D'un point de vue général, il n'y a pas de ligne de démarcation claire entre la compétence fédérale et la compétence provinciale en la matière.

En l'espèce, les deux lois en cause entrent en conflit. Les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration permettent à des non-avocats de comparaître en qualité de procureurs rétribués alors que la Legal Profession Act leur interdit de le faire. Il est impossible de se conformer aux deux lois sans contrecarrer l'objectif du Parlement. La Loi sur l'immigration doit donc l'emporter sur la Legal Profession Act. En conséquence, la Cour rend une ordonnance déclarant que les articles 30 et 69 (1) de la Loi sur l'immigration et ses textes d'application relèvent de la compétence du Parlement, et que l'article 26 de la Legal Profession Act est inopérant en ce qui concerne les non-avocats qui, agissant en vertu des articles 30 et 69 (1), sont rétribués pour représenter des gens devant la section d'arbitrage ou la section du statut et pour fournir des services à cet égard.

Étant donné que les dispositions contestées de la Loi sur l'immigration sont valides et l'emportent sur les dispositions de la Legal Profession Act, une injonction interdisant aux intimés M, Westcoast et S de se livrer aux activités reprochées ne peut pas être accordée. En outre, la question de l'injonction est théorique en ce qui concerne les intimés M et Westcoast. M est maintenant un membre en règle des barreaux de l'Alberta et de l'Ontario, ce qui lui donne le droit de représenter des clients à toute audience devant la CISR. Westcoast est maintenant dissoute et n'existe plus.


Dernière modification : le 15 août 2022 à 16 h 24 min.