Résumé de l'affaire
Appels d'une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ), Section des affaires immobilières, ayant accordé une indemnité de 156 808 $ aux expropriés. Appel principal accueilli en partie et appel incident rejeté.
Les expropriés ont acquis la propriété faisant l'objet de l'expropriation en 1980. En 1981, ils ont appris que leur terrain était bordé par le ruisseau Sainte-Rose-Ouest, qui servait d'exutoire aux eaux pluviales et agricoles en amont de la paroisse Sainte-Rose. Vers la fin des années 1980, les exploitations agricoles ont fait place au développement urbain, diminuant le degré de percolation de l'eau dans le sol et favorisant l'augmentation du débit dans le ruisseau. Le 7 août 1995, l'expropriante a adopté un règlement pour l'expropriation des servitudes permanentes et temporaires nécessaires à l'aménagement du ruisseau. Le 3 juin 1996, elle a adopté le règlement décrivant les travaux à effectuer et, le 27 juin suivant, elle a signifié l'avis d'expropriation. Le 28 juin 2000, la Cour supérieure a accueilli la contestation des expropriés quant au droit d'expropriation. Ce jugement a ensuite été infirmé par la Cour d'appel et, le 21 novembre 2002, la Cour suprême a rejeté la requête des expropriés pour permission d'interjeter appel. Le 3 juin 2003, l'expropriante a signifié un avis de transfert de propriété à la suite du dépôt d'une indemnité provisionnelle de 6 500 $. Les travaux ont été effectués du 23 juin 2003 au 30 septembre 2004. Le 7 octobre 2005, le TAQ a accordé aux expropriés une indemnité de 156 808 $. Au soutien de l'appel de cette décision, l'expropriante prétend que le TAQ a erré: 1) dans l'appréciation de la preuve en fixant le taux unitaire à 3,30 $ le pied carré; 2) dans l'établissement du taux unitaire visant à déterminer la valeur du terrain, plus particulièrement en omettant de considérer l'effet de la servitude légale d'entretien des cours d'eau, prévue au Code municipal du Québec; 3) en permettant une double indemnisation, soit une indemnité pour perte de valeur marchande en sus d'une indemnité de 25 000 $ pour remplacement des arbres et arbustes coupés dans l'exécution des travaux; et 4) en accordant 20 000 $ pour troubles et inconvénients selon un nouveau principe voulant que l'expropriante doive être «généreuse» à l'égard des expropriés et les indemniser d'inconvénients ne découlant pas directement de l'expropriation. L'appel incident des expropriés a également été autorisé afin qu'il soit déterminé si le TAQ a erré: 1A) en n'accordant que 9 200 $ sur 62 694 $ pour la reconstruction des aménagements au terrain; 2A) en considérant que la perte de valeur de convenance faisait double emploi avec la perte de valeur marchande; et 3A) en n'accordant que 20 000 $ à titre de troubles et inconvénients alors que la réclamation était de 30 000 $.
Décision
1) La fixation de la valeur du terrain asservi est au coeur de la compétence du TAQ et commande l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il est vrai que la servitude obtenue par l'expropriation a un effet sur la valeur de l'ensemble du terrain, bien qu'elle ne grève que l'assiette décrite dans l'avis d'expropriation, et qu'il faut prendre en considération cette valeur et non seulement celle du terrain asservi pour déterminer le taux unitaire. Toutefois, l'examen de la décision du TAQ et des rapports d'experts ne permet pas de conclure que le taux retenu ne reflète pas cette valeur. Le TAQ a dénoncé le morcellement à outrance du terrain par l'expert de l'expropriante. Son expertise en la matière fait en sorte qu'il n'est pas lié par les chiffres des experts et sa conclusion sur ce point n'est pas manifestement déraisonnable.
2) Le deuxième moyen d'appel soulève des questions de droit municipal et de droit civil général sur lesquelles le TAQ n'a pas de compétence particulière par rapport à celle des tribunaux de droit commun, de sorte que la norme applicable est celle de la décision correcte. L'expropriation a permis d'augmenter les servitudes légales existantes. La valeur du terrain constituant le fonds servant du ruisseau avant l'expropriation était déjà fortement diminuée par l'existence de celles-ci. Le TAQ n'a pas tenu compte de leur portée juridique sur la valeur du terrain, ne faisant mention que de l'absence de «déchets», et a ainsi mésestimé l'effet des servitudes préexistantes sur la valeur du terrain asservi. Ce volet de la décision du TAQ doit être rectifié. Sur les 5 435 pieds carrés visés par les nouvelles servitudes, 75 % du terrain était déjà touché par les servitudes légales préexistantes et 25 % représente la nouvelle superficie ajoutée par l'expropriation. Compte tenu du taux unitaire retenu par le TAQ, la valeur de la nouvelle superficie asservie est de 4 485 $. La valeur de la superficie de 4 076 pieds carrés qui faisait l'objet des servitudes préexistantes doit être calculée à 50 % du taux unitaire retenu, soit 1,65 $, ce qui l'établit à 6 725 $. Ces deux montants totalisent 11 210 $. Étant donné que le TAQ réduit l'indemnité de base à 90 %, qu'il s'agit de l'expropriation de servitudes et que le terrain asservi a très peu d'utilité pour les expropriés, l'indemnité doit être ramenée à 10 090 $.
3) et 1A) Les questions soulevées visent l'application de normes juridiques particulières au domaine de l'expropriation, ce qui emporte l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Le raisonnement du TAQ pour accorder la perte de valeur marchande, en sus de l'indemnité pour la perte des arbres, résiste à l'analyse. Il en va de même de l'indemnité accordée pour les coûts de réaménagement. 2A) Il est essentiel que le TAQ ne se trompe pas en ce qui concerne le concept juridique de la valeur de convenance, de sorte que c'est la norme de la décision correcte qui doit s'appliquer. Or, le TAQ connaissait ce concept, qu'il a décrit en conformité avec les autorités pertinentes. Son raisonnement est bien étayé.
4) et 3A) Les questions quant à l'attribution d'une indemnité pour troubles et inconvénients de même que la fixation du quantum sont des questions mixtes de fait et de droit emportant l'application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. En l'espèce, les motifs sous-jacents à l'attribution de l'indemnité de 20 000 $ ne sont pas étayés. Ils débordent le cadre juridique et vont même à l'encontre de celui-ci. L'expropriante ne peut aucunement être tenue responsable du délai de sept ant causé par les contestations non fondées des expropriés de son droit d'exproprier. Les éléments retenus par le TAQ à ce chapitre ne font pas partie du processus d'expropriation ni des dommages causés directement par l'expropriation au sens de l'article 58 de la Loi sur l'expropriation. Rien ne le fondait à imposer à l'expropriante l'obligation de faire preuve de «générosité» envers les expropriés au nom de la «communauté». Le dossier ne révèle pas de difficultés particulières permettant d'outrepasser les indemnités accordées récemment pour des réclamations de ce genre, qui oscillent généralement entre 500 $ et 5 000 $. En l'espèce, il y a lieu d'accorder 2 500 $ à chacun des expropriés, soit 5 000 $. Ainsi, l'indemnité accordée aux expropriés passe de 156 808 $ à 135 698 $.