Résumé de l'affaire
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif. Rejeté, avec dissidence.
L'appelante a déposé une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif au nom de propriétaires, de locataires ou d'occupants de certains arrondissements de la Ville de Montréal dont l'environnement sonore a été exposé au bruit des avions qui décollent, atterrissent ou circulent la nuit à l'aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, à Dorval. Depuis avril 2000, la défenderesse autorise trois envolées quotidiennes entre 6 h et 7 h, à l'encontre de la réglementation en vigueur et des normes environnementales. Le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait pas identité, similarité ou connexité des questions de droit et de fait. Selon lui, même si la nuisance sonore et la faute présumée constituent des questions communes, la détermination des dommages et celle du lien de causalité sont divisibles. Il a cité certains éléments dissociateurs du groupe: le caractère subjectif de la sensibilité au bruit, la définition du groupe, son étalement géographique ainsi que la disproportion entre les questions individuelles et communes. Il a considéré de plus que le recours à l'injonction était inapproprié en l'espèce.
Décision
M. le juge Pelletier, à l'opinion duquel souscrit le juge Hilton: Le refus du juge de remodeler le groupe ne donne pas prise à l'intervention de la Cour d'appel. Le recours comporte des difficultés non négligeables, lesquelles, jointes aux sérieuses lacunes entachant la description du groupe, fondaient le juge à ne pas tenter l'exercice. En effet, les réclamations recherchant la réparation du préjudice qui résulte de cette forme de pollution qu'est le bruit n'ont pas fréquemment connu de succès en raison des difficultés importantes liées tant à l'établissement d'une faute qu'aux dommages et au lien de causalité. Aussi, plus un recours paraît périlleux aux termes de l'examen que requiert le paragraphe b) de l'article 1003 du Code de procédure civile (C.P.C.), plus un juge sera fondé à être circonspect avant de déclarer qu'il a été établi à sa satisfaction que la demande remplit les exigences prévues à cet article. La décision de l'appelante d'englober les résidants d'un territoire aussi vaste comportait un risque plus élevé que la normale de dilution des questions communes en raison de la nature du fondement de la réclamation, le bruit. Les conclusions que le juge a tirées sur la prépondérance marquée des questions individuelles ne sont pas manifestement déraisonnables dans ce contexte. Par ailleurs, l'article 1005 C.P.C. n'impose pas au juge l'obligation de décrire le groupe. C'est plutôt au requérant que revient le devoir de délimiter un groupe qui représente la réalité et l'ampleur du problème à l'origine du litige. Le juge, quant à lui, possède le pouvoir de remodeler la description, mais seulement s'il l'estime approprié. En appel, la seule question à trancher est de savoir si le juge a exercé judiciairement son pouvoir. En l'espèce, la diminution de 15 secteurs à 3 représente une coupe loin d'être banale et qui témoigne de la démesure dont souffre la description proposée. Le juge de première instance était bien fondé à ne pas redéfinir le groupe.
Mme la juge Otis, dissidente: D'une part, à l'encontre du jugement ayant refusé l'autorisation, l'intimée ne peut contester, par le biais d'un appel incident, le bien-fondé des déterminations de droit du jugement de première instance dont le dispositif lui donne, ultimement, gain de cause. Toutefois, elle peut remettre en cause ces motifs dans le contexte de l'appel principal. D'autre part, en ce qui concerne les conditions de recevabilité aux termes de l'article 1003 C.P.C., le juge n'aurait pas dû écarter le recours en injonction au motif qu'il n'est pas nécessaire de former un groupe pour demander un tel redressement. Le recours à l'injonction permet de corriger avec efficacité les troubles de voisinage. En ce qui a trait au second critère que prévoit cet article, au regard de la nature objective et subjective de la nuisance sonore causée par les avions, des réclamations s'y rattachant et de l'étalement géographique du groupe, le juge a imposé un fardeau de preuve qui ressort davantage du fond du recours collectif que de son autorisation en exigeant la particularisation prématurée des réclamations individuelles et en omettant de circonscrire le groupe afin de ne pas compromettre la recevabilité du recours. En effet, quant à la nuisance sonore nocturne, plusieurs données objectives permettent de quantifier le bruit produit par les avions et d'en déterminer les effets sur les populations avoisinant l'aéroport. Plus particulièrement, le système GEMS («Global Environment Management System») permet de reconnaître de façon précise le type d'appareil utilisé, la trajectoire, l'altitude et le niveau de bruit émis par les avions. Les cartes de bruit constituées par ce système illustrent clairement une concentration de mouvements de nuit dans trois secteurs résidentiels, et le groupe peut être circonscrit aux personnes qui y résident. De plus, ces trois secteurs regroupent la plupart des personnes déjà visées par le recours initial. Ainsi, le juge de première instance disposait de toutes les données factuelles lui permettant de décrire précisément le groupe visé et pouvait en corriger la description. En ce qui concerne le lien de causalité, les mouvements de nuit des avions causent un certain niveau de bruit perçu par les membres du groupe, lequel est mesuré selon des indices objectifs qui quantifient la nuisance sonore. La question de déterminer si, subjectivement, ce bruit est source de dommages relève du juge du fond.