Résumé de l'affaire

Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario ayant confirmé la constitutionnalité de la Loi de 2001 sur les recours civils (L.O. 2001, c. 28). Rejeté.
Des policiers ont arrêté C. pour violation d'une ordonnance de probation et, en fouillant son véhicule accessoirement à l'arrestation, ils ont trouvé une somme d'argent comptant ainsi que des articles liés au trafic de drogue; le tout dégageait une odeur de marijuana, mais aucune drogue n'a été trouvée. Aucune infraction se rapportant à l'argent, aux articles ou à quelque activité liée à la drogue n'a été déposée contre C. Le procureur général de l'Ontario a obtenu, en vertu de la Loi de 2001 sur les recours civils, une ordonnance de conservation de l'argent et du matériel saisis. Il a alors demandé, en application des articles 3 et 8 de la loi, la confiscation de l'argent saisi constituant un produit d'activité illégale. En réponse, C. a contesté la constitutionnalité de la loi, plaidant que les dispositions de la loi relatives à la confiscation outrepassent les pouvoirs de la province, parce qu'elles empiètent sur le pouvoir fédéral en matière de droit criminel. Tant le juge saisi de la demande que la Cour d'appel ont conclu que la loi est une loi provinciale valide.

Décision

M. le juge Binnie: L'argument suivant lequel la Loi de 2001 sur les recours civils est ultra vires repose sur une conception exagérée de l'exclusivité de la compétence fédérale relative à des matières qui peuvent, sous un autre aspect, être visées par la législation provinciale. Dans les arrêts Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta (C.S. Can., 2007-05-31), 2007 CSC 22, SOQUIJ AZ-50435443, J.E. 2007-1068, [2007] R.R.A. 241 (rés.), [2007] 2 R.C.S. 3, et Colombie-Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc. (C.S. Can., 2007-05-31), 2007 CSC 23, SOQUIJ AZ-50435444, J.E. 2007-1107, [2007] 2 R.C.S. 86, notre Cour a découragé le recours au concept fédéraliste de la prolifération des enclaves en matière de compétence (ou de «l'exclusivité des compétences»), et il ne faudrait pas maintenant lui donner un nouveau souffle. Les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l'application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement. [2]

La loi a manifestement pour objet d'empêcher que le crime en général soit profitable, de confisquer les biens associés à la criminalité afin d'empêcher leur utilisation dans d'autres activités criminelles et d'aider à indemniser les personnes et les organismes publics qui ont supporté les coûts des activités criminelles. L'effet pratique (et recherché) est de faire en sorte que le crime ne paie pas et de dissuader, actuellement et pour l'avenir, les auteurs d'infractions de commettre des délits. Il s'agit là d'objets provinciaux valides. Le crime impose aux victimes et à la population des coûts qui doivent être supportés par le Trésor provincial, notamment en matière de santé, de ressources policières, de stabilité des collectivités et d'aide sociale aux familles. Ce serait faire fi des réalités d'aujourd'hui que de conclure que les provinces doivent assumer les coûts sociaux du comportement criminel, mais qu'elles ne peuvent pas prendre de mesures législatives pour l'enrayer. [3-4] [23]

Lorsqu'il existe un certain chevauchement entre les mesures adoptées en vertu du pouvoir provincial et celles prises en vertu du pouvoir fédéral, il est nécessaire d'identifier la «caractéristique dominante» de la mesure contestée. Si la caractéristique dominante du texte législatif provincial se rapporte à des objets provinciaux, comme c'est le cas en l'espèce, la loi sera valide, et si les textes législatifs des deux niveaux de gouvernement peuvent généralement être appliqués sans soulever de conflit, il n'y aura pas lieu d'intervenir. Dans les cas où il existe effectivement un conflit d'application, celui-ci sera résolu par l'application de la doctrine de la prépondérance du fédéral. [29] [36]

La loi a été adoptée relativement au chef de compétence portant sur «la propriété et les droits civils» et, en tant que telles, ses dispositions peuvent accessoirement «toucher» la loi criminelle et la procédure criminelle sans porter atteinte au partage des pouvoirs. Le fait que la loi vise à dissuader la commission à la fois d'infractions fédérales, d'infractions provinciales et même d'infractions perpétrées à l'extérieur du Canada, n'est pas fatal à sa validité. Au contraire, le caractère général lui-même de la loi montre que la province se préoccupe des effets du crime en tant que source générale de maux sociaux et de dépenses provinciales, et ne cherche pas à compléter le processus de détermination de la peine que prévoit le droit criminel fédéral. Bien que la confiscation puisse de fait avoir des effets punitifs dans certains cas, la loi n'exige pas une allégation ou une preuve qu'une personne donnée a commis un crime en particulier. Des biens peuvent être confisqués en application de la loi s'il est démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l'argent constituait un produit de la criminalité en général, sans davantage de précision. [4] [30] [41] [46-47]

C. a fait valoir que les dispositions de la loi constituent une ingérence dans l'administration des dispositions du Code criminel relatives à la confiscation. Si une telle ingérence dans l'application du Code criminel était établie, ou si l'on démontrait que la loi va à l'encontre de l'objectif fédéral qui sous-tend les dispositions du Code criminel relatives à la confiscation, la doctrine de la prépondérance des lois fédérales rendrait la loi inopérante dans la mesure du conflit ou de l'ingérence. Toutefois, tel n'est pas le cas en l'espèce. Si la confiscation est sollicitée et refusée dans le processus criminel, les diverses doctrines de la chose jugée, de la préclusion et de l'abus de procédure peuvent être invoquées pour empêcher la poursuite de remettre en litige la question de la détermination de la peine. Vu la souplesse de ces recours, il n'existe pas, entre le Code criminel et la loi, un conflit d'application qui oblige à invalider cette dernière loi relativement aux infractions fédérales en général. Si, dans des circonstances particulières, les dispositions relatives à la confiscation du Code criminel entrent en conflit avec la loi, de sorte qu'il devient impossible de se conformer aux deux textes législatifs, la doctrine de la prépondérance des lois fédérales rendra la loi inapplicable, mais uniquement dans la mesure du conflit. [42] [51-53]


Dernière modification : le 16 août 2022 à 12 h 40 min.