Résumé de l'affaire 
Appel d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif. Rejeté.
Le requérant a présenté une requête pour autorisation d'exercer un recours collectif au nom des consommateurs qui ont acheté du lait contenant moins de gras que ce qu'exigent les normes réglementaires ou que ce qui est déclaré de façon fausse et trompeuse pour la vente. Le juge de première instance a rejeté cette demande au motif que l'appelant n'avait pas l'intérêt juridique suffisant pour agir au nom des acheteurs de produits laitiers autres que ceux distribués par l'intimée Distribution Nutrinor inc. Il n'avait pas non plus un intérêt particulier et distinct de l'intérêt général pour forcer l'application ou le respect des lois publiques et ainsi se prévaloir d'une prérogative qui revient en règle générale au procureur général. Le juge a également conclu que la carence en matière grasse du lait ne résulte pas d'une faute, d'illégalités ou encore de mauvaise foi de la part des usines intimées. Enfin, il a estimé que l'indemnisation de chaque consommateur n'a aucun sens étant donné qu'elle serait très minime et qu'une mesure réparatrice collective comme un crédit à la consommation ne serait pas facile à mettre en application.

Décision
M. le juge Pelletier: En ce qui concerne le recours dirigé contre les entreprises de transformation, l'appelant soutient que celles-ci ont l'obligation de fournir la quantité de gras correspondant au pourcentage indiqué sur chaque contenant de lait. S'appuyant sur l'article 3 du Règlement sur la composition, l'emballage et l'étiquetage des produits laitiers, il avance que cette teneur est minimale, de sorte que l'offre d'un produit n'atteignant pas le seuil serait à coup sûr la conséquence d'un manquement à l'obligation de résultat. Ce raisonnement ne vaut que pour le lait d'une teneur en gras de 3,25 %. Dans le cas des laits à concentration de 1 et 2 %, la réglementation n'établit pas clairement que la concentration requise est exprimée en termes de minimum à atteindre. Quant au lait de 3,25 %, tout comme l'a exprimé le juge de première instance, faute de détails convaincants dans les allégations, le caractère infime de la carence dans un contenant donné ne paraît pas justifier les conclusions recherchées.

Par ailleurs, lorsque les quatre conditions formulées à l'article 1003 du Code de procédure civile (C.P.C.) sont remplies, le juge ne possède plus de pouvoir discrétionnaire pour refuser l'autorisation sollicitée. La présente affaire est gouvernée par les règles antérieures à 2003. Les parties ont donc procédé à des interrogatoires qui sont venus préciser les allégations. Cette affaire illustre l'importance que peut parfois revêtir la présentation d'une preuve au stade de la demande d'autorisation. Dans l'état actuel du droit, alors que le législateur a supprimé l'obligation pour le requérant de fournir une déclaration sous serment, les juges auront souvent intérêt à considérer favorablement les demandes qui leur seront faites de procéder à un ou des interrogatoires. En l'espèce, le juge a analysé la portée des obligations et a estimé que les faits invoqués ne permettaient pas de conclure à un manquement de la part des intimées ni à l'existence d'un préjudice corrélatif pour l'appelant. Ce faisant, il n'a pas commis d'erreur dominante dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que la loi lui confère.

Par ailleurs, la variation de la teneur en gras de chaque contenant de lait n'est que la conséquence de la limite de précision des instruments de mesure offerts sur le marché. Ainsi, les déclarations faites sont aussi exactes qu'elles peuvent raisonnablement l'être. Quant au caractère inapproprié de la mesure recherchée, le crédit à la consommation préconisé par l'appelant ne convient pas en l'espèce non seulement parce que les consommateurs n'achètent pas le lait aux usines intimées, mais aussi parce c'est la Régie des marchés agricoles et alimentaires qui fixe les prix du lait. Compte tenu du fait que l'indemnisation individuelle n'est pas réalisable non plus, il n'existe aucune autre mesure de rechange qui aurait pu se substituer à celle proposée.

L'appelant n'est pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres parce qu'il n'a pas la compétence pour le faire, que son intérêt personnel à agir est douteux et que pèse sur lui un soupçon sérieux de conflit d'intérêts. Il est lui-même un important producteur de lait et, à titre de vendeur de ce produit, il a un intérêt à ce que son lait fasse l'objet de la plus forte demande possible, et ce, au prix le plus élevé possible. Sous ce rapport, son intérêt personnel se concilie fort mal avec celui des membres du groupe, qui sont les acheteurs du produit fini. Il n'a pas porté plainte auprès du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec ni auprès de l'Office de la protection du consommateur. Il n'a jamais sollicité d'information sur la procédure à suivre pour en porter une. Ce n'est pas lui qui a pris l'initiative de consulter un avocat, mais bien certains autres producteurs. Il n'a jamais cherché à entrer en contact avec des consommateurs de lait qui ne seraient pas aussi producteurs.

L'appelant ne peut, à titre de représentant, entreprendre un recours collectif contre des parties avec lesquelles il n'entretient aucun rapport de droit. Le régime de recours collectif mis en place par le législateur est un régime de droit privé. La notion d'intérêt à agir doit s'apprécier dans ce contexte et non dans celui du droit public. Avant le jugement d'autorisation, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective. Le recours individuel du requérant doit donc à lui seul remplir les conditions énoncées à l'article 1003 C.P.C. Il convient de dissiper toute ambiguïté à ce sujet et de réaffirmer le principe de la nécessité pour un représentant d'établir une cause d'action contre chacune des parties intimées. L'appelant n'est pas en mesure d'affirmer qu'il a acheté du lait à des intimées autres que Distribution Nutrinor inc. En conséquence, il n'y a aucun lien de droit entre lui et ces intimées. Enfin, le recours contre le procureur général est voué à l'échec également. Aucun reproche ne peut lui être fait quant à son choix politique d'axer ses actions vers la santé du consommateur, l'hygiène et la salubrité.


Dernière modification : le 14 août 2022 à 16 h 24 min.