Résumé de l'affaire

Pourvois à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel fédérale ayant rejeté l'appel d'une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Rejetés.
En mai 2002, dans l'exercice de son pouvoir de tarification, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes («CRTC») a élaboré une formule pour réglementer les prix maximums exigés pour certains services offerts par des entreprises de services locaux titulaires, y compris pour les services téléphoniques résidentiels dans les zones de desserte — principalement urbaines — autres que celles à coût élevé (la «Décision sur le plafonnement des prix»). Selon la formule établie par la Décision sur le plafonnement des prix, toute hausse de prix de ces services pour une année donnée était limitée à un plafond lié à l'inflation, moins une compensation de la productivité visant à refléter le faible degré de concurrence dans ce marché particulier. Le CRTC a ordonné aux entreprises de créer dans leurs grands livres des comptes de report dont les fonds correspondent à la différence entre les tarifs réellement exigés et ceux autrement calculés selon la formule. À l'époque, il n'a pas précisé de quelle façon les fonds des comptes de report devraient être utilisés.

En décembre 2003, Bell Canada a demandé au CRTC la permission d'utiliser le solde de son compte de report pour étendre à des collectivités rurales et éloignées le service Internet haute vitesse à large bande. Le CRTC a sollicité, dans le cadre d'une instance publique, des propositions relatives à l'utilisation des comptes de report. En février 2006, le CRTC a décidé que les comptes de report devaient être utilisés pour améliorer l'accès des personnes handicapées aux services et pour étendre le service à large bande. Toute somme non dépensée devait être distribuée à certains abonnés actuels au moyen d'un crédit unique ou de réductions tarifaires futures. Cette décision est appelée la «Décision sur les comptes de report».

Bell Canada a interjeté appel de l'ordonnance intimant le versement d'un crédit unique, alors que l'Association des consommateurs du Canada et l'Organisation nationale anti-pauvreté ont fait appel de la décision prescrivant l'utilisation des fonds aux fins d'expansion du service à large bande. La Cour d'appel fédérale a rejeté les appels. Elle a conclu, d'une part, que le régime institué par la Décision sur le plafonnement des prix a toujours envisagé que les fonds accumulés dans les comptes de report seraient utilisés de la manière que prescrirait le CRTC, et, d'autre part, que ce dernier avait à tout moment agi dans les limites de son mandat. TELUS Communications Inc. s'est jointe à Bell Canada, en tant qu'appelante, devant la Cour.

Décision

Mme la juge Abella: La création et l'utilisation des comptes de report aux fins d'expansion du service à large bande et de versement de crédits aux consommateurs étaient autorisées par les dispositions de la Loi sur les télécommunications, laquelle pose le cadre législatif de base de l'industrie des télécommunications au Canada. En particulier, l'article 7 de la loi énonce certains grands objectifs de la politique canadienne de télécommunication et l'article 47 de cette même loi enjoint au CRTC de veiller à leur réalisation lorsqu'il exerce les pouvoirs qui lui sont conférés et concilie les intérêts des consommateurs, des entreprises et de leurs concurrents. Une responsabilité centrale du CRTC consiste à déterminer et à approuver les tarifs justes et raisonnables des services de télécommunication. La poursuite par le CRTC des objectifs de la politique, au moyen de l'exercice de son pouvoir de tarification, constitue précisément ce que l'article 47 lui demande de faire lorsqu'il fixe des tarifs justes et raisonnables. [1] [28] [36]

Les questions soulevées dans les présents pourvois ressortissent à l'essence même de l'expertise spécialisée du CRTC. Le noeud du litige concerne en fait la méthode d'établissement des tarifs et l'affectation de certains fonds provenant de ces tarifs, un exercice polycentrique que le législateur a confié au CRTC et pour lequel ce dernier possède une compétence particulière. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable. [38]

Lorsqu'il a ordonné l'attribution de crédits aux abonnés et lorsqu'il a approuvé l'utilisation des fonds pour l'expansion du service à large bande, le CRTC a agi de manière raisonnable et en conformité avec les objectifs de la politique de la Loi sur les télécommunications. Dans la Décision sur le plafonnement des prix, le CRTC a indiqué que les fonds des comptes de report contribueraient à la réalisation de ses objectifs. Lorsque le CRTC a approuvé les tarifs découlant de la Décision sur le plafonnement des prix, la partie des revenus qui avait été versée dans les comptes de report est demeurée assujettie aux prescriptions que pourrait formuler ultérieurement le CRTC. Les comptes de report, ainsi que la possibilité qu'ils fassent par la suite l'objet de prescriptions de la part du CRTC, faisaient donc partie intégrante de l'opération de fixation de tarifs. L'attribution de fonds des comptes de report aux consommateurs ne constituait ni une modification d'une ordonnance tarifaire définitive ni à proprement parler un rabais. Dès la Décision sur le plafonnement des prix, il était entendu que les fonds des comptes de report pourraient notamment être utilisés pour le versement d'un éventuel crédit aux abonnés une fois que le CRTC aurait déterminé l'affectation souhaitable. [64-65] [77]

Il n'y a pas eu interfinancement inapproprié entre les services téléphoniques résidentiels et l'expansion du service à large bande. La Loi sur les télécommunications envisage un cadre national global en matière de télécommunications. Les objectifs de la politique de télécommunication — dont le CRTC doit toujours tenir compte — montrent qu'il n'a pas à prendre en considération uniquement le service en cause pour déterminer si les tarifs sont justes et raisonnables. Il a à juste titre considéré les objectifs inscrits dans la loi comme des principes directeurs régissant l'exercice de son pouvoir de tarification et il est arrivé à une conclusion raisonnable. [73] [75] [77]


Dernière modification : le 15 août 2022 à 16 h 43 min.